Texte à méditer :  Faire de grands discours éloquents n’est pas une preuve de sagesse.   BOUDDHA
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Paysage sur la droite en montant au col Fromage
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PYRENEES - GR10 - JOUR 13
Jour 13 – Samedi 24 juillet 2004
 
La journée s’achèvera comme elle a commencé, c'est-à-dire sans eau…
 
Le camp est levé relativement tôt ce matin, car la corniche des Alhas ne saurait tolérer le moindre retard.
Un léger brouillard plane et décapite les arbres environnants. Cette visibilité médiocre, réduite est parfaite pour moi, optimisant mes chances et concentrant mes forces, car la corniche est dite « vertigineuse, mais disposant d’une main courante ». Je me laisse donc tenter par le sentier en corniche, alors qu’il est tout à fait possible de l’éviter en empruntant un itinéraire bis sans danger. Le sentier en sous-bois prend de l’altitude, serpente et bientôt se réduit, inclinant à droite. La ligne de vie, câble métallique est vissée au rocher, bienvenue sur la corniche des Alhas (1130 m). Pourvu de ne rencontrer personne, pourvu de ne rencontrer personne est la phrase que martèle mon cerveau entre deux « Je vous salue Marie » marmonnés à but de diversion évident. Les jambes ne devant ni flancher, ni regarder en bas. La corniche est certes sécurisée par le câble et des arbres jaillissent du ravin, néanmoins, la présence de l’un comme des autres s’avère appréciable pour se donner l’impression de cheminer en sécurité. De même que dans le chemin de la Mâture, la végétation vient fort à propos masquer en quelques places le fond du ravin le laissant ainsi moins abrupt. Pourvu de ne rencontrer personne tout de même, car croiser un autre randonneur en ce lieu étroit et vertical serait une belle gageure dont je me suis volontairement exclu en étant sur la corniche des Alhas à 8h00.
Marchant d’un pas incertain mais rapide, au rythme d’un cœur impatient et troublé, moins de dix minutes suffisent à sortir de la corniche, sans trop d’appréhension.
L’eau se fera un bien précieux jusqu’aux soubassements de la Hourquette d’Arre aussi me dois-je de conseiller humblement aux randonneurs futurs de remplir gourdes et réserves à la prise d’eau du Soussouéou (1320 m), franchit sur un pont en béton face à une petite cascade bourdonnante. Ce pont et l’eau qui file en dessous sont les ultimes pendant les quatre prochaines heures. Mais je ne le savais pas encore !
S’en suit une bonne et grosse heure de grimpette en sous-bois où déjà, malgré l’imposante couverture végétale, la chaleur du jour point, s’insinue, envahit le front, les vêtements, le dos en une vague submergeant inéluctablement le randonneur. Rude montée au milieu de pierres jonchant le parcours ou parfois faussement assemblées en une antique voie pavée déformée guère plus agréable et fonctionnelle pour le pied. Il me semble invariablement me traîner sur ce terrain que je n’affectionne guère, difficile aussi bien à la montée qu’en descente, pour les articulations mises à rude épreuve. Plus d’eau et la soif commence à gagner. Le bandeau, déjà essoré se gorge rapidement du fruit de mes efforts ascensionnels répétés.
Je rattrape un couple qui était passé tôt ce matin au bivouac alors que je déjeunais encore. Sommaires salutations réciproques car le souffle court ne prédispose pas à l’éloquence sur le sentier désormais plus pentu montant en forêt jusqu’à atteindre enfin les contreforts de la falaise de la Thune.  
Quelques lacets permettent de sortir de la forêt en d’amples zigzags à l’assise redevenant plane. Un panorama ensoleillé de ciel bleu, des montagnes tout autour, des vallons gazonnés et un sentier dorénavant plat sur plusieurs kilomètres s’annoncent. Enfin, je vous le dis, car le graphique du topo guide est totalement foireux à cet endroit là, comme dans beaucoup et beaucoup d’autres encore à venir. Car si l’on excepte les commentaires au morne caractère d’inspiration post soviétique (montez à droite, tourner à gauche, descendre un peu…) le seul attrait et intérêt du topo guide est de présenter un graphique, une élévation de terrain permettant de juger le parcours et de jauger ainsi son effort. Mais la plupart de ces graphiques sont faux, incomplets ou de mauvaise facture, contrairement à la facture du topo guide qui elle est plutôt salée. Ainsi, à contempler ce qui attend le randonneur aujourd’hui, on se surprend à voir une ascension continue de la prise d’eau (1110 m) jusqu’au sommet de la Hourquette d’Arre, soit 1375 mètres plus haut. Or il n’en est rien, au grand contentement du randonneur harassé déjà que je suis et ce long faux plat de trois bons kilomètres vient fort à propos !
Le GR bien balisé laisse à gauche les premiers alpages en vallon et traverse à flanc, sur la pelouse d’abord puis sur rochers et cailloux, remontant vers le fond de la vallée s’élargissant. Toujours pas d’eau, alors qu’en bas, au fond de la vallée du Soussouéou, on entend et voit distinctement la rivière et ses cascades fredonner une tendre mélodie oubliée ! La chaleur se fait oppressante.  
Enfin, au millier de nulle part, les parois d’un rocher luisent faiblement au soleil, signe indéniable d’humidité et donc d’eau. Suintent quelques gouttes d’un rocher, au bord du chemin pierreux, au bord du ravin herbeux. Cela n’a rien de comparable avec un prodigieux mur d’eau de centre commercial mais je m’y arrête pourtant, ayant bien trop soif pour oser faire le difficile. Au bout de cinq longues minutes, je n’ai patiemment rempli que la moitié de la bouteille de cinquante centilitres, que je m’empresse aussitôt d’avaler, la soif étant trop forte.
Encore cinq minutes et je me délecte de l’autre moitié, limpide et fraîche à souhait et bienvenue malgré un fluet débit de trois litres à l’heure !
Essayez chez vous pour vous imaginer, de réduire le robinet au minimum du filet possible en vous lavant les dents. Ce n’est pas loin d’être çà… Et de plus vous contribuerez à préserver les ressources d’eau en n’en consommant pas plus que nécessaire lors du brossage du soir !
Une centaine de mètres plus loin, dans une courbe formant une mini plateforme, je découvre le filon surnaturel ! De l’eau coule d’un rocher filtrée par de la mousse touffue, en quantité bien plus importante. Je remplis ma gourde de trois litres et me fais aussi deux comprimés de vitamine, en guise de toast effervescent en l’honneur de ce qui apparaît alors comme une véritable fontaine miraculeuse !
La gourde pleine pèse trois kilos supplémentaires à porter. Mais qu’ils sont les bienvenus ces kilos d’eau, d’une eau source de vie, de joie, d’allégresse et de bonheur, de soif étanchée, de plaisir retrouvé. Bien légers sont-ils à l’évidence, car l’eau régénératrice est primordiale à la vie. Très légers kilos de vie. De ceux-là, je veux en porter toujours !
Inflexion très nette du sentier reprenant un caractère ascensionnel avec de rares passages en forêt pour revenir sur une voie horizontale à proximité de l’ancienne mine de cuivre (1600 m). Un gros torrent tonitruant cabriole du vallon supérieur à la base du cône d’ascension de la Hourquette d’Arre. Quoi de plus harmonieux que le réconfortant glouglou bruyant de l’eau qui jaillit ?
Sur la montagne en face, retentissent les moteurs du petit train d’Artouste qui roule sa bosse rouge aux flancs boisés de la Sagette percée de boulevards à skis. Quatre kilomètres à vol d’oiseau et pourtant le bruit mécanique empeste l’horizon tranquille. Encore une attrape sous pour touristes en sandales ! 
Point de train pour gravir les pentes coniques de la Hourquette d’Arre, ni même de funiculaire, tant l’inclinaison confine à l’effort intense et dont l’effacement prendra encore près de deux heures, pour 865 mètres de dénivelé.
On distingue nettement et sans ambiguïté possible le passage du col, loin, très loin là-haut. Mais fort heureusement la grimpette du jour se module plus aisément grâce à deux gradins intermédiaires. Le premier est facilement atteint après avoir remonté le ruisseau en des passages souvent étroits, pentus et d’assez mauvaise conservation constitués de graviers et de schistes friables à souhait. J’arrive sur un large plateau creusé d’un petit étang près duquel une marmotte grignotait quelques fleurs. Prévoyant une montée exténuante et difficile, je marche volontairement lentement afin d’économiser mon souffle. Plus lentement encore que jamais jusqu’alors. Et cela produit son effet comme moi mon effort, car patiemment mes modestes pas me portent plus haut ! La seconde station est un vaste replat de verdure atteint après un effort accru en des lacets innombrables, si rapprochés que l’on gagne très rapidement de l’altitude et la vue se dégage, offrant une dernière fois le Pic du Midi d’Ossau en témoignage de magnificences beautés alpestres.
Pause méritoire face au Pic qui surnage dernières les hautes cimes et autour duquel hier encore je cavalais. S’il y avait juste un filet d’eau ici, le bivouac y serait panoramique et de premier ordre.
Parfois, en marchant vite et bien, en marchant fort lors de la montée vers certains cols, je me fais l’effet d’être Socrate l’illustre, à qui la légende prête qu’un disciple était chargé de rappeler qu’il lui fallait penser à respirer, tant le philosophe parlait et parlait, emporté par sa fougue, sa verve passionnée.
De même pour moi, mais bien plus modestement, ma petite conscience me dit parfois de lever le pied dans les grimpettes, car je ne suis pas à dix minutes près, car la route est encore longue, car je ne dois pas me fatiguer inutilement, ni même me blesser gravement. Alors je rabâche, pour mieux m’en convaincre mon petit adage personnel :
« Ce n’est pas parce que la pente s’adoucit que le col est proche. » 
Quelques derniers résidus de névés finissent de défendre l’accès au col, dont les ultimes cent mètres sont gravis dans les éboulis et les pierres, une frêle cicatrice dénudée faisant office de sentier. La pente se veut plus forte encore, mais illusoire est sa pénibilité tant on se sait arriver enfin à la Hourquette d’Arre (2465 m).
Le couple de randonneurs arrive peu après moi. Ils sont originaires du Jura et font le GR10, partis de Saint Jean Pied de Port et allant jusqu’à Arrens seulement, c'est-à-dire demain. Pour tout commentaire de satisfaction légitime à l’arrivée au col, le mari dira : « Hé ben, il se mérite celui-là, mon Dieu ! ».
Une immense cuvette vallonnée tapissée de gazon au fond de laquelle repose un petit lac et une cabane en pierre sur un replat constellé de gentianes composent le paysage nouveau du col. Quelques névés et ruisselets en dégoulinant dispensent une climatisation naturelle appréciable.
 
Sitôt franchit l’autre versant du plateau, l’œil est irrésistiblement attiré par le lac d’Anglas en contrebas, ovoïde et nageant au milieu de la verdure, avec un rocher immergé comme îlot inaccessible. Des tâches blanches, mouvantes et éparses matérialisent la gente bovine, jardinier appliqué d’alpage. Surgissant du fond de la vallée, les nuages laiteux triomphent du combat inégal qui les oppose au ciel bleu, limpide et frais et envahissent les berges. Plus rien n’est visible. Seules les lourdes cloches témoignent encore de la présence des vaches et du lac alentour. Descente en une heure depuis le col, sur un sentier caillouteux couleur d’ocre jusqu’aux vestiges de la mine de fer où subsistent quelques modestes pans de murs étiolés et wagonnets mangés de rouille (2068 m).
Atteindre Gourette n’est dès lors plus qu’une formalité dans le brouillard persistant, grâce à un sentier large et balisé, faisant jonction aux cabanes du Plaa de Batch avec une piste carrossable. En contrebas du sentier, au milieu de ce no man’s land de brouillard et de crasse vaporeuse qui englobe le vallon, une quinzaine de gamins participe à une compétition de moto cross pétaradantes et polluant tant que je ne suis pas loin de penser que ce sont elles qui génèrent le manteau nuageux ! Des parents transis de froid forment le maigre public docile de ce spectacle qui n’a selon moi nullement sa place en montagne… Afin de m’extirper au plus vite de cette atmosphère bruyante et surchargée de gaz d’échappements bleuâtres, j’entreprends de trottiner rapidement dans les derniers alpages surplombant la station distante de deux kilomètres. Un gamin essaye de me suivre en courant avant de bientôt renoncer, trop vite fatigué !
Gourette (1346 m) est à l’image d’Arette-la-Pierre-Saint-Martin, mais en plus petit. C'est-à-dire sommaire station familiale de moyenne montagne partiellement bétonnée, plantée de téléskis et n’offrant qu’un intérêt limité. Sauf peut-être pour sa cabine téléphonique, le réseau enfin présent et la superette Proxi ouverte jusqu’à 19h30 ou 20h00 ? Des passerelles et escaliers métalliques finissent de dénaturer le site déjà peu enclin à remporter le prix de beauté !
Dix minutes dans la petite superette m’apportent un peu de chaleur et me permettent de refaire le plein en denrées de bases, de première nécessité : 
 
1 saucisson pur porc
250 Gr
2 tablettes de chocolat lait/noisettes
200 Gr
1 gros quatre quarts
800 Gr
Du pain d’épice
470 Gr
2 gruyères Emmenthal
500 Gr
7 sachets de soupe (3 savoyardes et 4 légumes)
/
5 sachets de semoule
500 Gr
 
 
Total
2,720 Kg
 
Dit comme cela, ça fait un peu « camp de réfugiés », mais en suis-je si éloigné d’un point de vue alimentaire ou même confort d’hébergement ?!!!
Pas si sûr.
Ce soir, c’est fiesta à Gourette, car peu nombreux sont les lampadaires n’arborant pas, qui le lieu, ou l’heure du méchoui et du bal subséquent. Des braseros fourmillent déjà de bras affairés autour d’odeurs d’alléchant graillon dégoulinant. Tout un programme de festivités des plus appréciables que je me dois heureusement de fuir, préférant l’isolement des bois, le silence de la nature pour goûter un repos des plus justes et mérités. 
 
Je profite du peu de jour qui reste pour monter en direction du col de Tortes sous une visibilité médiocre due au brouillard stagnant et à l’heure avançant. Le but n’est nullement d’atteindre le col ce soir ni même de le franchir, simplement de m’éloigner raisonnablement de la station, et de trouver de préférence un lieu de bivouac plat doté d’un peu d’eau à proximité. Les premiers hectomètres sont en d’inextricables fossés, talus ou monticules de rochers. Point de salut à espérer si près de la station.
Continuer, marcher, monter.
Des terrasses herbeuses et planes se présentent, mais toujours pas d’eau, plus de visibilité. 
Fatigué, éreinté à l’extrême, je plante la tente sur les derniers champs plats avant une nouvelle éminence.
Je fais le point sur l’eau. Il ne me reste que cinquante centilitres, alors qu’un litre et demi serait le minimum, pour le repas du soir, un peu de toilette et la boisson de demain matin.
Confiant, je pars donc à l’aveuglette dans le brouillard, à la recherche d'un filon d’eau que j’espère de tout cœur trouver plus haut. Rien. Rien jusqu’au col de Tortes (1799 m) si proche et que la visibilité nulle dissimulait au regard. Pourtant l’eau affleure, la mousse est spongieuse mais désespérément rien. Il me semble pourtant entendre légèrement glouglouter… Je cours de droite et de gauche, m’approche des rochers humides, pompe le sol du bout du pied. Rien. Sans doute est-ce la fatigue qui me joue des tours. Je reviens à la tente, penaud. Me déshabille et m’allonge, amer.
Ce soir, ce sera repas froid.
Mais restant positif, je vois là le moyen d’économiser un peu de gaz dont je n’ai plus beaucoup.
Soif pour soif, autant manger, ce sera toujours ça de pris. Alors je me venge sur le saucisson et une tablette de chocolat, en buvant du bout des lèvres et à gorgées comptées un peu d’eau, espérant bien en garder pour demain matin. Tu parles ! Les cinquante centilitres ne font pas long feu hélas. Je m’endors en ayant toujours très soif et la certitude de me réveiller avec la gorge en feu. Ca me servira de leçon ça, aussi :

Il faut TOUJOURS remplir sa gourde quand on en a la possibilité

Putain, ce n’est en plus pas la première fois que ça m’arrive…
 
Demain, en tout état de cause, c’est l’arrivée à Arrens et la fin du premier topo guide, la fin des Pyrénées atlantiques aussi.
Gîte réservé et douches assurées !
 
Couché avec une belle soif aux lèvres !…
La journée s’achève comme elle a commencé, c'est-à-dire sans eau…
8h10 de marche effective

Date de création : 06/03/2008 @ 06:26
Dernière modification : 12/03/2008 @ 19:00
Catégorie : PYRENEES - GR10
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