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ALPES - GR5 - JOUR 14
14e jour – 30 juin 2005
Deux cachets vitaminés dans l’estomac en guise de pétillant petit déjeuner.
En quittant peu avant sept heures l’appréciable protection de la chapelle, je me retourne sur mes compères d’infortune qui commencent à gigoter dans la douce tiédeur de leurs duvets.
- Gardez moi une petite place au cas où…
Sans plus de conviction, je monte en direction du Hohneck sous un temps gris, couvert, bouché et dont le souffle de vent glacial ne laisse aucun doute sur l’euphorie météorologique de cette quatorzième journée de marche. Les voies du Seigneur sont impénétrables. De même que l’épais brouillard qui happe immanquablement chaque parcelle de bois. Les feuilles mortes virevoltent au vent d’automne. Des formes mystérieuses apparaissent progressivement, se découpent du filtre déformant de condensation pour laisser entrevoir ici une souche, là un panneau, ailleurs un rocher d’anatomie animale. Deux écureuils grimpent vers la canopée duveteuse. Des vaches silencieuses, assurément à ruminer comme moi à propos du temps, sont autant d’obstacles découverts au dernier moment, juste avant de buter contre. Passage de la forêt à la clairière et au fil de l’ascension, à l’alpage où le pas tente de garder au coin de l’œil les minces indices révélateurs du sentier. Fort judicieusement, le balisage fréquent barbouille ici les pierres. Un Petit Poucet éclairé que celui qui entretient la signalisation en ce lieu. Au cours de pérégrinations alpines ou pyrénéennes à travers un brouillard si dense que la visibilité permettait seulement quatre ou cinq petits pas, je faisais souvent le même rêve. Rêve étrange et pénétrant d’une flamme inconnue qui m’aime et guide mes pas dans la tristesse de ces lieux déchus. Un phare dans la nuit, des lucioles disséminées au fil du destin. Rêveries d’un promeneur solitaire sans doute !
Une heure tout rond pour monter au sommet du Hohneck (1363 m) accueillit par la furie du vent et le brouillard redoublant. A tel point que j’ai faillit louper l’imposant cube de béton du refuge sommital où se côtoient boutiquent de souvenirs, bar et hôtel. Pensée émue et déçue à destination de mon « garde forestier favoris » loin au Nord, dans sa Schaeferplatz. Il m’avait pourtant bien parlé de ce cône herbeux, du panorama phénoménal qu’on y avait et surtout de ces chamois réintroduits ici et qu’il n’était pas rare d’observer. Déception.
Une poignée de petits lacs s’éparpillent en contrebas de la route des crêtes, saupoudrée chétivement de fermes auberges où il ne semble y avoir âme qui vive.
Le ciel chargé et la vitesse des nuages qui s’y agglutinent ne prêtent guère à un optimisme forcené. Au détour d’un sous-bois, le paysage change du tout au tout. A partir du Rainkopf (1305 m), sur la variante du GR5, la vue se dégage et le cheminement sur cette vaste crête herbeuse devient savoureux. Herbe moelleuse, sol uniforme de terre battue, bruyères et gentianes jaunes. Je ne sais s’il s’agit d’hallucination due à la fatigue, à une alimentation minimaliste ou au désir de mon esprit, mais je vois distinctement deux silhouettes filiformes et vêtues de bleu venant vers moi. Mon attention attirée par l’envol d’un oiseau baisse la garde et au moment de relever les yeux vers ces personnages qui devraient être tous proches, plus rien. Personne. Aucun autre sentier, aucun obstacle où l’œil pourrait buter et les perdre. Ils ont disparut.
Dès l’arrivée au col du Herrenberg, le sentier prend des allures de promenade dominicale. Ici assurément, une famille trouvera matière et paysage pour atteindre le zénith d’une journée réussie au grand air. Par mer calme et peu agitée, par temps ensoleillé, le bonheur est simplement accessible pour peu qu’on prenne le temps de savourer l’immensité des champs fleuris et de l’herbe grasse. Par 14°C et un taux d’humidité proche de celui d’une cloison nasale enrhumée, les sentiments sont moins trépidants hélas.
Sur la gauche, le plafond bas caresse à quelques kilomètres les installations sphériques du radar du Grand Ballon. Une immense balle de golf luit avec difficulté au summum d’une colline un peu plus haute que les autres.
Le Markstein est une petite station de tourisme vert avec son florilège de cafés, bars et restaurants posés au bord de route. Une terrasse entièrement couverte d’un joli dôme de verre attire l’attention et lui confère un aspect sympathique et futuriste de colonie lunaire. Cinq à six télésièges rappellent que l’altitude appréciable pour la région doit bien apporter son lot de flocons à la mauvaise saison. 12h30 et déjà la totalité des trente kilomètres impartis pour la journée est effectuée, sans trop de difficulté ni fatigue. Je pourrais aisément atteindre le Grand Ballon et m’en éloigner considérablement avant que le soleil bien timoré ne termine sa course. Mais il n’en est pas question aujourd’hui, j’ai rendez-vous ici au Markstein. Résolument indifférent aux sirènes du repos, envers lesquelles j’entretiens de légitimes suspicions, et trouvant l’endroit un peu trop urbanisé, je pousse de deux kilomètres supplémentaires.
Le chalet Edelweiss dépendant du club de ski de Saint Amarin fera un appréciable lieu de bivouac. Oui enfin, pas tout le chalet ! Uniquement le porche libre d’accès, constitué de tôles et pavés autobloquants. Une appréciable sieste de deux heures au chaud dans le duvet aide à faire passer l’après-midi et déconnecte pour un temps de cette météo capricieuse. Plus tard alors que je transcris modestement les événements de la journée, une kangoo vient se garer tout à côté de la table de pique nique servant d’écritoire. L’un des responsables du centre de ski, courtaud et jovial opère une inspection, me questionne et se propose de me faire visiter le chalet. Il parle avec un tel accent alsacien, avalant parfois ses phrases que je dois bien tendre l’oreille pour analyser et comprendre avec à peu près, deux mots sur trois. Mais à la longue on s’y fait.
Le refuge est agréable et l’homme volubile.
- Vous savez, dit-il joyeux, on est ici le refuge le moins cher des Vosges. Vous savez combien on fait payer la nuitée ici ? Dites un prix pour voir !
- Huit euros, sept peut-être ?
La pupille du petit bonhomme explose d’un bonheur radieux, d’une fierté proche de l’enchantement.
- Non, seulement cinq euros cinquante, vous vous rendez compte ?!!
- Moitié prix qu’un refuge du CAF…
La visite se poursuit et aucune pièce ne doit échapper à mon inspection bienveillante tant il ouvre pour moi de portes. Les dortoirs, la salle de jeux, les douches et la salle à manger, tout y passe. Devant des articles de presse jaunis et des photos cornées, il me fait le panégyrique de skieurs du club jadis en équipe de France. Un monumental poêle en faïence doit rendre les soirées d’hiver rudement conviviales. Le maître des lieux qui n’en finit plus d’expliquer la montagne environnante qu’il aime assurément me remet un prospectus en trois volets.
- C’est la ligne de bus des Crêtes. Bien utile vous savez quand on est fatigué.
Cette ligne fonctionnelle le week-end et quelques jours fériés desserre les principaux sites remarquables de la région et dont les noms ne me sont pas indifférents : col du Calvaire, gazon de Faîte, col de la Schlucht, le Hohneck et le Markstein.
- Comme ça, vous laissez votre voiture, faites votre randonnée et vous rentrez tranquillement en bus !
- Ben oui, si j’avais su, dis-je avec un clin d’œil complice.
Des abords, il pointe un doigt sur la forêt proche, habitat de nombreux chevreuils et montre une micro source aux allures de goutte à goutte à trois pas de la porte. Le bonhomme referme à double tours, me sert la main cordialement et s’en va en conseillant de bien inutiles recommandations de propreté.
A 20h30, mon invité pointe le bout de son nez. Venu de la « lointaine » Strasbourg, il vient m’apporter un peu de compagnie et d’amitié. J’ai rencontré Christophe Smolarski au col pyrénéen de Mitja l’année dernière. Père de jeunes enfants, il y savourait les rares moments d’une rando en couple. Nous avons sympathisé et apprenant ma venue dans la région il a voulu m’accompagner pour l’étape de demain. Dehors, des saucisses dorent lentement au scintillement d’un grill envahit d’obscurité tandis que nous énumérons les beautés de la nature.
La pluie qui redouble oblige à nous mettre sous la protection du porche métallique. J’aurai aimé l’accueillir en un confort moins sommaire mais cependant nous sommes au sec.
Date de création : 09/02/2008 @ 13:46 Réactions à cet article
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