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ALPES - GR5 - JOUR 29
29e jour – 19 juillet 2005 (+2 de Thonon)
Le petit matin embrumé distille une glaciale fraîcheur et quelques rares auréoles bleuâtres percent avec forte pénibilité un ciel chargé d’immenses nuages grisonnants. L’itinéraire part en sous-bois décrit un large parcourt vallonné et passe de village en village grâce à un balisage parfois bien distant. Des chiens errent dans les ruelles, nulle âme qui vive, tout au plus les cloches d’une église témoignent d’un peu de présence faussement humaine. Au-delà de l’insignifiant hameau de Bioge encaissé en fond de vallée, le GR remanié ici oblige à subir une assez difficile grimpette en forêt, qui porte bien visibles les stigmates de l’orage dévastateur subi la veille. Feuilles et branchages s’entremêlent à même le sol revêtu de pavés glissants. Les écoulements d’eau ont dessiné de profondes ornières et plus loin, quelques arbres déracinés demeurent coincés, comme soutenus dans les bras ballants des autres de leurs coreligionnaires plus robustes. La Plantaz, puis les Clouz, sur le couvert d’un vaste plateau. Désormais les montagnes sont imminentes, accessibles, nous y serons sous peu. Enfin !
Un carrefour balisé avec beaucoup d’équivoque et nous voilà perdus jusqu’au village de Vinzier.
Le bureau de poste n’ouvre que l’après-midi. Les deux sympathiques secrétaires de mairie trouvent ma balade bien intéressante surtout depuis l’Alsace et font au mieux pour me remettre sur le bon chemin. La reproduction de la carte regorge d’eau, gondole amèrement et a bien piètre allure posée sur le comptoir de l’accueil, avec ses déchirures multiples et les tâches d’encres délavées qui la maculent. Vinzier reste encore lisible, en marge d’une auréole grise et verte dont un psychiatre se ravirait d’user lors d’un test : « A quoi vous fait penser cette tâche ?!!! »
Ma carte rendue au dernier stade de l’éponge, la plus âgée et la plus bavarde des deux fait de son mieux pour m’indiquer comment rattraper le GR sur l’écran de son PC. Un logiciel réalisé conjointement par l’IGN et pour le conseil général permet de visualiser la commune en d’appréciables photos aériennes de qualité optimale. En zoomant, apparaissent les limites cadastrales du village, chaque parcelle, toute surface est référencée, identifiée, annotée et l’on s’y retrouve aisément côté orientation pédestre.
Elle raconte que petite, elle allait ramasser des framboises du côté de Bise, que d’ici ce n’est pas très loin en voiture, une vingtaine de minutes au plus. Je mettrai quant à moi modestement 7h30 pour y grimper depuis le même village !
A la sortie de la forêt, bien plus tard, on touche enfin aux premiers alpages au niveau des chalets du Petit Chesnay. Grâce à l’accentuation soudaine de l’altitude préalable, le panorama offre une vue étendue et dégagée sur le lac Léman où des voiles comme des têtes d’épingles blanches prennent le large après la tempête. L’alpage du Grand Chesnay à peu de distance serait facilement le cadre d’un appréciable lieu de bivouac pour explorer la région. L’eau y coule à profusion dans un grand bassin cimenté et ce glouglou lancinant apaise le randonneur fourbu. De même que les concerts aléatoires des clarines alentours, dont les vaches sans doute depuis longtemps ne prêtent plus guère d’attention au fabuleux paysage qui s’offre à elle, sous le mont Baron (1566 m).
Le sentier grimpe en alpage, change de vallon et poursuit à l’assaut des pistes de ski de la pointe de Pelluaz. Le GR emprunte l’exact tracé des pistes de ski qui ici n’ont déjà plus rien de comparable avec les fluettes pistes de ski de fond du Doubs, presque toutes en faux plat. Le dénivelé augmente à chaque pas car la piste connaît un pourcentage assez déconcertant qu’il faut rapidement maîtriser en de longs et larges zigzags. Le balisage est bien présent, mais si par inadvertance ou défaillance visuelle vous n’en trouviez plus, aucun souci : contentez-vous sagement de grimper « au sommet du sommet », jusqu’à une croix plantée sur une arête herbeuse, plus haut encore que la gare supérieure du téléski.
Le cheminement se poursuit sur les larges crêtes vallonnées et gazonnées d’où la vue certainement embraserait l’horizon sans la densité des nuages et du brouillard qui soudainement plombe l’ambiance. Une poignée de minutes à marcher ainsi entre terre et ciel, les pieds sur terre et la tête dans les nuages, jusqu’à apercevoir dans un dégagement de brume en contre bas cinq ou six granges juxtaposées en un alignement hétéroclite, au creux d’un beau vallon émeraude.
- Chouette, bientôt arrivé aux chalets de Bise, super !!!
Fort d’une certaine euphorie et jovialité naissantes, je descends un peu à vue, un peu en suivant un semblant de sentier sur le flanc bosselé de cette crête herbeuse jusqu’à un mini replat. Hormis un pic formé de trois doigts de pierre dressés vers le ciel, rien ici n’indique plus l’éventualité d’un sentier prolongeant. Impossible de descendre plus par là sans risquer de glisser ou tomber dans les ravins à déclivité croissante. Demi tour et remontée sur la crête originelle. Je retrouve péniblement le sentier de crête qui longe la montagne, contourne les chalets par le haut… et s’en éloigne considérablement. Ben oui puisque ce n’étaient là que les chalets de… Darbon (1583 m) !!! Le col suivant donne accès au lac de la Case où la déconvenue est cuisante. Deux canards barbotent dans un halo de brouillard sulfureux émanant du lac qui a toutes les allures d’un grand étang bordé de joncs dans ce décor automnal. Il reste au moins deux bonnes heures jusqu’aux chalets de Bise et il est déjà 17 heures. Inutile de trop s’attarder à décrire le présumé romantisme du lac. La montée en direction du col des Portes d’Oche tient toutes ses promesses et offre un peu de saine résistance en cette fin de journée. De larges éboulis et d’infinis cailloux en ralentissent l’accès qui n’est pas dangereux est bien visible, puisque matérialisé par une large entaille entre les Pointes de Darbon et le Roc du Château d’Oche. Là encore, même par temps de brouillard optimal, impossible de manquer le passage du col. Ce col se mérite d’autant plus qu’il est le vrai premier col depuis le départ de Wissembourg, avec 1937 mètres, soit cinq cent mètres au dessus du Grand Ballon d’Alsace, excusez du peu !!!
Un large vallon intégralement constitué de tristesse minéralisée laisse à supposer que l’on a franchit un cratère lunaire exempt de vie animale ou végétale. Rien ne pousse, rien ne vit, rien ne bruisse. Seul le vent lèche les parois rocheuses jusqu’à pousser son souffle vers le lac de Darbon que l’on aperçoit loin en contrebas. Un autre collet exonéré de baptême ouvre sur de magnifiques alpages bordés par un panorama assez saisissant sur le Lac Léman et la Suisse, mais trop vite absorbé par le brouillard. Adieu Léman je ne te reverrai plus.
A une dizaine de mètres du sentier un jeune bouquetin se régale d’un peu de sel coincé entre deux pierres. Nullement effrayé il continue à se délecter de sa friandise, offrant toute possibilité pour le photographier et filmer à loisir. Dix bonnes minutes s’écoulent à savourer cet instant magique où la nature vous gratifie de largesses appréciables, cadeau au randonneur épuisé d’une batterie réconfortante de félicité. Cet unique petit bouquetin aurait suffit à illuminer la journée. Mais les premiers pas dans les paysages d’alpage au dénivelé d’importance supposent récompense supérieure. C’est assurément ce qu’ont dû conclure les Dieux de la rando qui m’offrent un autre merveilleux spectacle. Tournez vous en direction de la colline en face. Oui, c’est ça, légèrement sur votre gauche… Voyez-vous cette douzaine de bouquetins jeunes et vieux qui s’ébattent sur la crête acérée ? Les petits jouent, sautent, font des cabrioles endiablées et bondissent en tous sens. La crête est à eux et ils ne se privent de l’explorer tel de petits Robinson bouillonnants. Indifférents, deux mâles se battent à grand fracas de cornes. Le vainqueur aura le harem, le perdant une sacrée gueule de bois.
Mais il y a un hic au merveilleux conte de fée animalier. Comme dans Blanche Neige, les Dieux de la rando sont gangrenés par leur mauvaise Carabosse. Dans une cavité naturelle creusée au creux d’un rocher par le temps et l’histoire des vents, une odeur fétide monte à la tête. Au bord du sentier, un autre bouquetin est là. Inerte. Lui non plus n’a pas peur de moi, n’est pas effrayé, ne fuira pas. Il n’ira pas loin, ne bougera plus car des légions de vers blancs s’activent à dépecer ses muscles froids.
Le GR nous fait encore descendre à travers l’alpage jusqu’à faire jonction avec l’itinéraire venant de Saint Gingolf. Et enfin le dernier col de la journée se profile : le bien nommé col de Bise (1915 m). On aperçoit les chalets quatre cents mètres plus bas, aux confins d’une pente herbeuse avalée en une demi heure. Le but est là, atteint au prix de saine fatigue peu ressentie depuis longtemps. Les difficultés commencent aujourd’hui, mais les paysages et la faune magistrale en valent réellement la peine. De peine il sera question au fil des jours à venir, car l’itinéraire qui se profile ressemble dorénavant à une interminable et impressionnante dent de scie. Si du moins la météo se maintient, ni trop chaude ni trop pluvieuse, la progression sera continue, les panoramas défileront et les pieds avaleront de sacrés kilomètres. Ce n’est pas moins de quatorze mille mètres de dénivelé positif qu’il va falloir trouver le courage de gravir jusqu’aux environs du col de la Croix du Bonhomme, marquant frontière entre la Haute Savoie et la Savoie. Quatorze mille mètres, ce n’est rien d’autre que le Tour de l’Oisans effectué il y a déjà si longtemps. Dit de façon plus explicite pour le béotien, cela revient à grimper l’équivalent de trois Mont Blanc,… et à en redescendre bien sûr !
Arrivé à 19 heures aux chalets de Bise, épuisé et tétanisé de fatigue. Avant même de monter la tente à proximité des refuges, il me faut impérativement grignoter et boire un litre d’eau fraîche.
Pas d’objectif précis pour demain : marcher, avancer, prendre du plaisir. Date de création : 13/02/2008 @ 05:15 Réactions à cet article
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