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ALPES - GR5 - JOUR 40
40e jour – 30 juillet 2005 (+13 de Thonon)
Le topo guide spécifiait bien que du refuge du Plan du Lac, il était loisible de savourer une « vue exceptionnelle sur la chaîne des glaciers de la Vanoise ». Sans doute par beau temps ? La seule vue qui commence à se dégager, deux heures après le refuge n’est que l’amorce des lacs Lozières situés à près de 2400 mètres d’altitude. Pas âme qui vive, pas un animal, aucun bruit ne perce l’épais brouillard qui ici plus qu’ailleurs fige tout. De petits lacs de montagne peu profonds, entourés de rochers tellement arrondis par les siècles qu’ils feraient d’excellents galets pour géant égaré dans ces montagnes. Depuis le petit matin, seul un excellent balisage permet de trouver son chemin dans ce labyrinthe aveuglant tombé du ciel. Dans le meilleur des cas la visibilité porte à dix mètres. On frôle les chalets du hameau de l’Ile sans même les voir, les clôtures se dévoilent lorsque le barbelé menace d’attraper le bermuda, les vaches muettes couchées à terre imitent de massifs rochers qu’on se doit de contourner sans trop de largesse, sous peine de perdre le sentier.
Quelques mètres après les lacs, le brouillard se déchire momentanément et avec une générosité machiavélique laisse entrevoir la rudesse des éboulis à venir, les avalanches de terre, de gravier et de pierres mêlés sur la moraine du Pelve qu’il faut bien trouver la force de gravir.
Le sentier tourne, monte, bifurque et monte encore sans que l’on sache avec certitude se localiser dans les trois dimensions. Oubliez la carte, d’aucune utilité en cette purée de poix persistante. Des heures durant au fil du jour, je marcherai ainsi dans un épais brouillard sans autre preuve avérée de mon avancée que la fatigue qui peu à peu s’insinue dans le corps, à l’assaut des articulations.
Quelques nouveaux éboulis et les cairns permettent dorénavant de suivre l’itinéraire supposé du sentier à flanc de rochers bombés et caressés depuis longtemps par l’érosion. Ce passage semble surréaliste car avec une inclinaison de trente degrés, on semble attaquer sur une poignée de mètres l’ascension du Mont Sinaï ! Au hasard du brouillard dense, on avance à pas de loup, et la monotonie visuelle qui submerge l’œil s’empare bien vite du cerveau qui se laisse égarer par des pensées familières ou des rêves profonds. Ainsi les proches, les disparus, la famille, m’accompagnent ainsi au long de kilomètres infinis où il me semble dire à l’un de faire attention à cette pierre, ou l’autre me parle. Tous me suivent ou précèdent. Ce n’est point encore le paradis, ni même le purgatoire, juste un chemin d’infini ennui que ces songes aident à accommoder au mieux.
Sorties du brouillard, une corne puis deux dansent dans les airs. Pensez-vous au diable ou à l’un de ses acolytes ? Bessans n’est pas loin il est vrai ! Un petit bouquetin curieux s’écarte du flanc maternel et tend une tête curieuse dans ma direction. Ses parents ne sont qu’à quelques pas sur une proéminence, sûrs de leur supériorité et du couvert inestimable qu’apporte le protecteur brouillard, ils laissent le petit s’approcher jusqu’aux marches ultimes d’une distance de sécurité légitime. Satisfait, il retourne brouter calmement auprès des siens, sans plus d’appréhension ni de peur.
Plus loin, alors que le sentier descend en surplombant les gorges du Doron et que l’espace n’est guère vaste entre le vide à gauche et la verticalité de la montagne à droite, les rencontres avec des bouquetins sont fréquentes. Une petite famille tente de traverser le sentier. Le petit, pas assez leste ou aguerri encore se retrouve coupé de ses géniteurs, à quelques jets de pierre (jets de fleurs est plus tendre !) de moi. Je m’immobilise aussitôt, de façon à ne plus trop perturber ces magnifiques animaux au pelage luisant. Le petit à tâtons opère un large contournement sous les encouragements somme toute inquiets de sa mère. Une dizaine de minutes d’efforts, de cris, d’hésitation et d’observation lui sont nécessaires pour rejoindre la croupe maternelle avant de disparaître enfin sur un étroit rocher sécurisé en surplomb. Levant la tête, je lance au petit comme à un enfant avec qui l’on joue à cache-cache :
- Je te vois !
Le randonneur estival fera attention, à garder un œil pour observer la magnifique faune du parc, et aussi à garder un œil plus attentif encore sur le sentier, car sur ce chemin de pierre, quelque attention est nécessaire, au moment de franchir le dernier ravin. Dans le lointain apparaît comme un hameau et l’on croit être tiré d’affaire en arrivant bientôt au refuge de l’Arpont. Un bon kilomètre à vol d’oiseau et nous pourrons savourer une pause méritoire. Comme un coup de pousse symbolique du destin, le refuge de l’Arpont, le vrai, surgit dans le dernier virage à peu de distance.
Il est constitué d’un ensemble de trois bâtiments de pierre posés au bord d’une large butte. Une fontaine d’eau revigorante, des tables de pique-nique et un quatuor de poules caquetant sur fond de groupe électrogène. Une ardoise vante les mérites du plat du jour ainsi que de la tarte aux airelles maison. Le panorama courre sur cent quatre vingt degrés. Bouché à l’Ouest par les sommets du Dôme de l’Arpont et du Chasseforêt culminant 1200 mètres plus hauts dans des neiges éternelles, il s’ouvre largement à l’Est. On peut ainsi largement deviner au-delà des gorges du Doron le plateau pelé et dénudé du plan du Lac.
Plusieurs dizaines de cascades dévalent le flanc de montagne avec plus ou moins de fracas, toujours avec élégance et presque raffinement. Dans ce vallon verdoyant, l’eau régénère la vie et se fait l’élément moteur de la beauté du lieu. Le GR descend à flanc de montagne, dans les pierres en pente douce jusqu’aux « chalets » du Mont.
Une poignée de cabanes en pierre apparemment décapités et ruinées forment ce nouveau lieu-dit de montagne, trou du cul de ce bas monde. L’une d’entre elles se voit coiffée d’un ancestral toit de tôles rouillées méchamment. Dans ce qui de loin apparaît comme des décombres, une famille est sagement attablée à avaler une énorme pastèque tandis que je gravis les premiers lacets en direction de Montafia. On se croirait à Dresde au milieu des entrelacs de gravats fumant et cette famille déguste comme si de rien n’était ce fruit à pulpe rouge, rafraîchissante et juteuse avec calme. Sans doute me contemplent-ils avec le même étonnement.
Le sentier suit à flanc puis grimpe bientôt à une altitude de croisière au-delà des alpages. Désormais sur la pierre, nous cheminerons une bonne heure vers 2400 mètres d’altitude sur une étroite bande rectiligne. Se profile la combe du ruisseau de Bonne Nuit, envahit de pierriers et d’éboulis sans difficulté à traverser et qui dessinent à merveille le fil d’Ariane pédestre aisé à franchir jusqu’à la Loza (2327 m). De l’immense butte à flanc de falaise où une grande croix batifole dans l’herbe rase, le panorama des jours derniers mérite une pause admirative des efforts qu’il nous a fallut déployer. Ainsi s’ouvre au regard fatigué le V des jours passés. Le V de la victoire il est Vrai. Le V des vallées qu’il a bien fallut contourner, le V majestueux de Vanoise. De la première branche Termignon, Lanslebourg et Lanslevillard s’étire dans leur petite vallée bien étroite le long de l’Arc. Marquant frontière, la Turra de Termignon et sa modeste bergerie symbolise l’étrave d’un paquebot envasé sur la crête. On devine les cabanes et le sentier de Plan du Lac, l’angle opposé et l’immensité palpable de l’itinéraire avalé ces deux derniers jours. On le distingue grandeur nature, avec l’insouciante possibilité de pointer aisément telle grimpette difficile, tel coin à bouquetins, tel lieu de pause salutaire. Bien mieux qu’une carte en 3D, la montagne s’impose au milieu du monde comme l’élément suprême.
De la Loza à la Turra, le paysage change, le sentier aussi. La quarantaine de minutes accentuées séparant ces deux points de carte sont radicalement différents encore. Le sentier devient une large piste carrossable quasiment horizontale où le décor impressionne à l’approche sous le monolithe du Roc des Corneilles semblable à une mini reproduction de la Monument Valley, sauce Vanoise évidemment. Le soleil encore haut, la piste poussiéreuse, le calme et l’horizon infini donnent à s’imaginer le grand ouest américain, chevauchant à même l’immensité sauvage. En plein milieu d’après-midi, les bêlements de moutons ramènent sur le plancher des vaches… et les aboiements des chiens à un peu de prudence. Encadré par quatre patous, un troupeau moyen de quatre à cinq cent têtes rentre docilement au bercail. Pas de berger à l’horizon, mais les crocs des chiens à deux doigts du pantalon. Comme ce matin, je m’immobilise sur le bas côté de la piste et laisse les chiens venir un à un me renifler pour authentifier mes paisibles intensions. Tandis que les aboiements retentissent en guise de paravent, le troupeau dodeline de la tête à mon niveau et s’éloigne dans un nuage de poussière. Pas vu de berger, dans ce troupeau téléguidé par les chiens. Respectant scrupuleusement les consignes des panneaux standardisés à l’entrée des alpages :
- je ne me suis pas enfui
- je n’ai pas séparé le troupeau
- je n’ai pas eu de gestes brusques à l’encontre des chiens (surtout pas malheureux !)
- je n’ai pas crié
- j’ai essayé de ne pas avoir trop peur…
C’est qu’un patou vous arrive facilement à la taille et que sa mâchoire est autrement plus fournie que celle d’un yorkshire. Alors quatre autour de vous, vous prédispose à observer une conciliante attitude de dominé.
- Il est gentil le patou, gentil toutou le patou…
- Grrrrrr… Grrrrrr… Grrrrrr…
Des trois pans de murs symbolisant les ruines de la Turra, le sentier perd un peu de niveau et contourne le sud du Roc des Corneilles, sur un itinéraire mi gravillonné mi schisteux relativement étroit. De loin en loin, il est soutenu par de larges treillis métalliques. Les premières centaines de mètres semblent de largeur bien modeste, mais s’élargissent au fur et à mesure que l’on surplombe le ravin pas trop vertigineux.
On marche en vue du sommet des remontées mécaniques d’Aussois et contournant un dernier coude de colline, la vue est récompensée par l’apparition des deux lacs artificiels de Plan d’Aval et Plan d’Amont. Au centre et les dominant sur la droite, le refuge de Plan Sec (2310 m).
Trois anciens chalets d’alpage magnifiquement conservés dans l’esprit et l’architecture d’antan constituent le refuge. Le premier sert de réfectoire, le second de dortoir et le troisième d’habitation aux gardiens. Très sympathique le gardien, un bon septuagénaire au teint non pas bronzé mais caramélisé par des siècles de vie au grand air. Assis à une table, il discute avec des touristes et randonneurs de passage, parisiens essentiellement venus goûter un total dépaysement.
- D’où arrivez vous comme ça ?
- Du refuge de …
Trop fatigué pour parler longtemps après une belle cavale en montagne, le souffle emporte le reste de ma réponse.
- De l’Arpont, tente une randonneuse ?
- Non, de l’autre…
- De Plan du Lac, propose le gardien voyant ma main agitée d’un signe mimant l’antériorité.
- Oui, c’est ça, ce matin.
- Vous n’avez pas du beaucoup vous arrêter alors ?
- Non, pas vraiment.
- Pas étonnant que vous soyez fatigué enchérie la femme, si vous faîtes deux étapes quand on n’en fait qu’une. Nous, nous venions de l’Arpont, c’est bien suffisant.
- Oui, c’est déjà une belle trotte, répondis-je en admirant le refuge.
A l’énoncé de mon lointain point de départ alsacien, l’assemblée marque un temps d’arrêt comme pour réaliser cet inimaginable parcours qui a été le mien jusqu’ici. Le gardien parle alors d’un nordique, un grand gaillard parti de Hollande jusqu’à Nice il y a quelques années. Il comptait mettre cent jours tout rond et était chargé comme c’est pas possible !
- Et vous, votre sac pèse combien ?
- Je ne sais pas. Autour de quinze kilos peut-être ?
- Non, je dirai moins. Et de soulever mon sac, puis d’aller chercher un peson où il marque « seulement » dix kilos.
- Dix seulement ? Sans eau et sans nourriture. Mais vous savez, avec la fatigue que j’ai dans les pattes, ça parait vraiment plus lourd en fin de journée. Trente kilos au moins…
Le gardien éclate de rire mais compatit bon enfant. Il dit avec sagesse que les gens de Bonneval sur Arc sont particulièrement froids, peu ouverts et par nature pas très accueillants.
- C’est presque le bout de la route là-bas, alors ils se renferment et regardent d’un mauvais œil les étrangers.
Je me renseigne auprès de cet homme qui est tout l’inverse : les points d’eau futurs, le col du Barbier tout proche et aussi la présence de troupeaux et surtout de patous, avant de quitter le refuge après une très agréable heure de repos et d’intéressante discussion.
- Vous ne passez pas la nuit au refuge demande la femme ?
- Non, je n’ai plus trop d’argent et surtout je n’ai pas encore eu ma dose pour aujourd’hui !!!
De fait j’ai l’intention de marcher encore une heure afin de contourner les lacs par le nord et de gagner un peu d’altitude significative en direction du col du Barbier. Il fait encore beau, la température baisse indéfectiblement et cette heure supplémentaire gagnée me donne des ailes. Marcher une heure de plus chaque fois que cela est possible permet tout simplement de gagner une journée de marche par semaine. A raison de sept heures quotidiennes, la surnuméraire équivaut mathématiquement à gagner un jour par semaine de marche. Pas si mal sur sept semaines ! Je trottine souvent, marche aussi vite que possible afin de trouver un endroit calme et paisible pour la nuit. A l’entrée du Parc de la Vanoise, un nouveau panneau indicateur de troupeau me fait ralentir le pas. Le gardien m’a dit qu’à l’endroit où je souhaite encore aller, sur cette grosse colline en face, il y a bien un troupeau, pas de berger mais deux ou trois patous, il ne sait pas bien. Ouais, on va y aller doucement alors ! La pente de ce sentier à vache est assez vite avalée avec beaucoup plus d’attention que de vitesse. Le premier plateau d’alpage fera l’affaire pour la nuit. Un troupeau est bien là. Pas le temps de terminer de monter la tente que les premiers moutons arrivent à ma hauteur. Et quand il y en a un, il y en a vite cent. Fort heureusement point de berger mais surtout pas de patou.
Nuit tranquille face au refuge de Plan sec. Inutile de recourir à l’artificiel stratagème de comptage ovin pour trouver un rapide sommeil. Compter les heures de marche suffit amplement : une, deux, trois, cinq, sept, neuf. Neuf heures effectives de marche en montagne pour aujourd’hui…
Bonne nuit ! Date de création : 13/02/2008 @ 19:17 Réactions à cet article
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