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ALPES - GR5 - JOUR 42
42e jour – 1er août 2005 (+15 de Thonon) 
 
Peu avant 8 heures, je croise un garçon de mon âge avec les deux chiens, la relève de la garde… des vaches, assurément. Qu’il soit tranquille, je me suis bien occupé d’elles durant la nuit, je n’ai pas fait trop de bruit pour ne pas les réveiller, moi !
Depuis le col de la Vallée étroite et pour quelques jours jusqu’au col Girardin (2700 m), nous cheminerons dans le département des Hautes Alpes (05 – chef lieu : Gap). Passage illico dans les Alpes de Haute Provence (04 – chef lieu : Digne) et le dernier de tous, le plus attendu, le plus lointain pointera le bout de son nez : les Alpes Maritimes !!!
Ce compte à rebours départemental me met en joie et suis tout guilleret en descendant sur les chalets de Turini (1765 m). Une autre raison rend cette journée euphorisante. Nous sommes le 1er août et atteignons le quarante-deuxième jour de marche. L’été dernier, il m’a fallut exactement quarante-deux jours d’intenses efforts pour traverser les Pyrénées d’Hendaye à Banyuls, sur le GR10. Quarante-deux jours. Dit comme cela, ce n’est rien, des mots, des jours mis bout à bout, incapables à eux seuls de relater le cocktail de difficultés, d’efforts et d’âpreté d’une telle traversée. Quarante-deux jours. Combien encore avant de pouvoir savourer le dernier des panoramas, celui ouvrant sur l’immensité de la Méditerranée ?  
 
 
Les chalets de Turini comptent plusieurs refuges comme le très joliment nommé rifugio dei re magi (le refuge des rois mages). Une petite chapelle et sa fontaine, de vieilles habitations bien restaurées et d’antiques granges en pans de bois sculptées, depuis trop longtemps rongés jusqu’à l’âme par les éléments. Tout ici est aux couleurs de l’Italie : les drapeaux, les écriteaux, les véhicules et bon nombre de randonneurs ou propriétaires. Une enclave italienne en terre de France, tradition héritée du passé et des ajustements de frontière dictés au grès des vainqueurs successifs.
Aucun problème de balisage ou de signalisation pour attaquer en forêt de mélèzes l’ascension vers le col des Thures (2194 m). Du petit étang sommital qui s’étiole doucement, le panorama permet d’admirer les crêtes de la Miglia, le sommet de l’aiguille rouge et derrière nous déjà la vallée Etroite, le Grand Séru, frère protecteur du Thabor et les falaises grises entourant les pointe Balthazar, Gaspard et Melchior à plus de trois mille mètres. Les rois mages sont bel et bien là, majestueux, presque divins. S’ils ont été changés en trois pics imposants, c’est donc que le Christ serait italien plus que Nazaréen ? Bien sûr puisque le Pape lui habite à Rome !!!
Le vaste alpage traversé en pente douce vers le sud amorce la longue litanie de lacets en forêt passant près d’une demoiselle coiffée perdue entre les feuilles de résineux.
-          Vous n’avez pas trop chaud en polaire ?
Un petit groupe de randonneur en termine bientôt de l’ascension vers les alpages et parmi eux, une femme s’inquiète de mon bien-être ! Il fait déjà assez chaud mais :
-          Je la garde pour éviter les frottements du sac sur les épaules.
Un des acolytes demande d’où je viens et sans cligner je réponds comme à l’accoutumée : un peu plus haut que Strasbourg. Ils restent béats, mélange d’admiration mais aussi de forte suspicion.
-          Comment avez-vous fait pour venir d’aussi loin ? En hélicoptère ?!!!
-          Non, simplement en suivant le GR.
-          Le … ?
-          Vous, vous n’avez pas l’air de faire beaucoup de randonnées dis-je pour couper court aux sarcasmes naissants de ses copains.
Une nouvelle fois, je plonge dans des explications sommaires et généralistes, leur apprenant que ces traces de peinture blanche et rouge qu’ils voient depuis un moment sur les arbres ne sont pas des repères de bûcheron mais du bénéfique balisage à suivre et respecter. Ils n’ont jamais entendu parler de la FFRP, des guides de randonnées et avouent se servir de la carte avec quelques savantes doses d’incompréhension...
 
 
A la Chapelle des Ames (1623 m), au-delà du pont des Armands, la longue aire naturelle de camping s’étire toujours au fil de la Clarée. Très peu d’aménagement, seulement des points d’eau disséminés, des emplacements individuels de camping ombragés mais respectant la topographie de ce lieu paisible. Pas d’aplanissement outrageant à grands coups de bulldozer ni de haies de thuyas, la nature conservée pour ne pas trop la déranger et faire comprendre au touriste qu’il est ici sont invitée.
Il fait encore beau et chaud au-delà du petit village tranquille de Plampinet (1482 m), mais le temps se gâte inéluctablement au moment d’enchaîner les larges lacets de la piste carrossable menant aux chalets des Acles (1870 m).
Du fond de la vallée, plein sud en direction de Briançon, ce sont d’abord quelques éclaireurs épars de nuages distants. Puis plusieurs flots continus qui finissent par s’unir pour tapisser le firmament d’une couleur livide de gris opaque et mélancolique.
Ce hameau de montagne des Acles est constitué au plus d’une dizaine de maisonnées, anciennes bergeries ou maisons d’alpages que leurs heureux propriétaires s’ingénus à restaurer selon l’architecture traditionnelle des Alpes. Toits de lauzes côtoient les murets de pierres ou une fontaine fleurie creusée dans un tronc d’arbre séculaire. Trois ânes batifolent dans les près et marquent le temps du battement de leurs oreilles démesurées. Plus loin, un bon troupeau de brebis se regroupe dans le parc d’une bergerie.   
 

 
Un homme qui promène sa brouette pleine de sable, de ciment autour de sa maison qu’il retape à force de patience lâche, à propos de la météo :
-          Tant qu’il y a du vent ça va, s’il s’arrête il pleut. Ne tardez pas.
Il m’informe également que le berger rencontré en 2003 est toujours dans les parages. Ce type là, caricature vivante, semble tout droit sorti des livres de Pagnol, tel un anachronisme du vingt-et-unième siècle : Il portait d’antiques brodequins en cuir, d’un cuir dur et dénué de souplesse à l’image du personnage, bourru. Une barbe de quelques semaines, plus ou moins taillée, des lunettes rondes, jolies cul de bouteilles rendues opaques par l’action implacable du temps, une bouche un peu dégarnie qui distillait la parole avec autant d’avarice que l’eau dans le désert. 
Un chapeau de feutre noir servait aussi bien à protéger du soleil que de la pluie ce grand échalas maigre qui semblait flotter dans son pantalon de toile. Arc-bouté sur son long bâton, les mains posées l’une sur l’autre, sa conversation m’est restée. Je lui avais demandé combien de temps il fallait pour aller à Modane. Il ne savait pas, il ne savait pas non plus situer Modane.
-          J’aimerai mettre moins de deux jours…
-          Ben t’y seras pas.
Je demeurais circonspect devant cette accablante sentence dénuée de beaucoup d’encouragements et avec un peu d’acharnement avait mis moins de quarante-huit heures pour atteindre Modane. Aujourd’hui, en ces mêmes lieux, montant dans les derniers gravillons du col de Dormillouse, je songe avec fierté teintée d’un peu de mépris à ce personnage hors normes, car ce matin encore j’étais au col de la vallée Etroite, « juste au dessus » de Modane !!!   
Guère peu d’animation au col de Dormillouse (2445 m), sans doute le vent violent et glacial qui y règne chasse t-il les téméraires randonneurs en quête de panorama. La vingtaine de minutes d’ascension qui sépare ce col du col de la Lauze (2530 m), donne à se régaler du spectacle du massif des Ecrins dans le lointain.
Emergeant des plus hautes montagnes, surgissent au dessus des amas minéraux d’immenses dentelles frappées du sceau de l’éternelle immaculation : le Pelvoux (3914 m), l’Aillefroide ou la Barre des Ecrins (4102 m) n’attendent pas longtemps pour que l’on s’extasie devant eux, derniers véritables glaciers visibles avant la mer. Cet immense iceberg posé sous les nuages indique invariablement la direction de Grenoble, telle une boussole en quête de repère familier.  
18°C à 2530 mètres, vent frais, ciel couvert.
De la petite heure et demie nécessaire pour descendre sur la station de Montgenèvre, seule la partie haute, en vallon d’alpage mérite un intérêt appréciable. Bien vite on se retrouve à dégringoler le long des pistes de ski ennuyeuses de longueur et monotonie sur d’interminables voies pavées de cailloux blancs.
Très prisée des transalpins, Montgenèvre (1849 m) ne saurait déroger à sa réputation. La route actuelle ouverte par Napoléon, amène au pied de l’immense obélisque lui rendant hommage. Seul col des Alpes ouvert en permanence l’hiver, Montgenèvre, station frontalière jouit d’équipements et de capacités hôtelières modernes et importantes. Les chapelets de camions à vouloir passer le col ne sont pas oubliés hélas. 
Prochaine étape : Briançon.
On apprend de ses erreurs. De fait, le randonneur prochain fera sans doute comme moi, lira précisément la carte et évitera pour un temps le « nouveau » tracé du GR qui sillonne loin dans le bois de Sestrières sur les pistes de ski de fond et rallonge de plusieurs inutiles kilomètres. Il préfèrera certainement passer par l’ancien tracé : à savoir descendre la route N94 jusqu’à hauteur de la station d’épuration et descendre sagement en vue de la route, en sous-bois tranquille. Gain estimé ? Une heure et demie. A la jonction avec une piste carrossable rejoignant le GR, une succulente aire de bivouac vous tend les bras. Plane, à l’herbe moelleuse, abritée de taillis et de pins, vous trouverez là endroit idéal pour passer la nuit, en vue plongeante du hameau des Alberts. Briançon est encore à plus d’une heure trente.
Sitôt installé sous la modeste tente, la pluie se met à tomber, pour la nuit entière et plus encore. Le type des chalets des Acles avait vu juste.
Soupe, bolino et purée, chocolat.
Cuisine comme toujours à l’intérieur de la tente, pour gagner du temps, manger allonger et demeurer au chaud dans le duvet.
Encore une journée extraordinaire de rando. A croire que je les accumule, mais tant que le beau temps se maintient, autant en profiter.

Date de création : 14/02/2008 @ 08:35
Dernière modification : 22/07/2008 @ 11:05
Catégorie : ALPES - GR5
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