Texte à méditer :  Plus la montagne est haute, plus la vallée est profonde.   ALSACIEN
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Le col des Ayes ? 2711 m
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PYRENEES - GR10 - JOUR 03
Jour 3 – Mercredi 14 juillet 2004
 
Petite toilette minimaliste sous l’œil impavide du gardien des lieux, cloué à la solive de la baraque. Une chose est certaine, ce n’est pas lui qui est venu roder autour de ma tente cette nuit ! Lever tardif, maintes fois repoussé car je n’ai pas très envie de tester mes ampoules et je frémis à la seule idée de mettre mes chaussures… Alors que je démonte la tente, un joggeur m’offre un sursis supplémentaire par l’entremise d’un peu de conversation sympathique et en m’apportant tout frais encore les premiers rayons de soleil. Je dis être parti d’Hendaye lundi midi et tenter le GR10.
-          48 heures, ouais c’est bien ! Ce soir vous pouvez être à Saint Etienne de Baïgorry !
Je crois qu’il rêve un peu le bonhomme, d’autant que l’état de mes pieds lui demeure inconnu. Oui, il rêve vraiment, car dès les premiers pas en direction du col Zuccata (566 m), je vois se profiler une journée longue et difficile, où il serait plus aisé, rapide et agréable pour moi de marcher sur les mains.
Large sentier de terre au milieu des fougères jusqu’au col, puis en faux plat horizontal, à flanc de coteau où alterne une végétation rase mais encore verte, dû à la proximité du littoral. Des joggeurs filent plus vite encore que s’ils avaient le Diable aux fesses, dans un déhanchement qui me laisse pantois, tant je commence à traîner la jambe, boitillant un peu sur mes ampoules. Mais rien ne sert de courir, me réconforte Monsieur de La Fontaine !   
La ferme Esteben (580 m) se voit d’assez loin puisque constituée de gros bâtiments, pouvant laisser supposer être un petit hameau aux toits de tuiles rouges, tout au bout d’un vaste faux plat de plusieurs kilomètres.
 
Mon p’tit couteau suisse a une envie pressente, voir rébarbative de mettre à l’air son petit ciseau dont il souhaite se servir pour jouer avec moi au docteur ! Accédant bien malgré moi à sa requête, je me laisse charcuter deux ou trois petites ampoules, en me disant que si çà ne gagne pas, au moins ça débarrasse. Le pied droit n’est pas du même avis, lui qui déploie des trésors d’ingéniosité pour maintenir sa fragile voûte hors de contact du sol, lors de la marche. Je boite un peu et cela commence à faire ma désolation. 
Ca commence comme une balade et j’aspire à ce que cela dure, car la balade est belle sur le papier et il me plairait de pouvoir la concrétiser. D’abord revoir les prétentions à la baisse, en espérant au mieux atteindre Bidarray ce soir. Ensuite, continuer de marche certes longtemps, mais plus lentement en s’arrêtant moins, moins souvent pour garder toujours un pied actif et des ampoules chaudes, virtuellement endormies et donc moins douloureuses à l’usage.
Il fallait bien que ces ampoules arrivent. Mais j’avoue candidement avoir été surpris par une telle déferlante : 12 ampoules représente un score non négligeable qui pourrait presque me permettre de briguer une place réservée dans les transports en commun, au même titre que les personnes âgées ou à mobilité réduite. Mais l’optimisme étant plus que jamais de rigueur, il faut convenir que c’est une chance d’en avoir ici, maintenant et autant. Les prochains jours seront désagréablement douloureux et la distance abattue sans doute bien modeste. Mais au-delà de quelques kilomètres en moins, mes pieds seront par la suite mieux aguerris, durcis et parfaitement aptes à avaler l’immensité des kilomètres et dénivelés des Pyrénées. Ici, au matin du troisième jour, je n’en suis qu’à commencer l’échauffement de mon corps, par le réveil musculaire et il se rebiffe un peu, lui plus souvent urbain qu’alpin. Une poignée de jours de souffrance et d’inconfort nécessaires pour muer du citadin au randonneur, perdre ma peau blanche et délicate au profit d’un teint doré, résistant, tendu vers le succès et la réussite du projet.
Bénies soient les ampoules !
 
De la ferme Esteben au col Méhatche (ou supposé – 716 m), une route goudronnée peu fréquentée mais de belle incidence permet d’accéder à un plateau étendu. L’horizon est barré de toutes parts de montagnes aux formes arrondies, vertes et majoritairement boisées. Un troupeau de blancs ovins disséminés sur une colline semble des confettis d’îlots sur un océan végétal, surveillés de très haut par les premiers requins à plume fendant les flots du ciel. Les vautours sont là. Deux, trois, une dizaine bientôt, se déplaçant sans effort, majestueux, presque divins. 
Arrivant de nulle part, leur ombre file sans rencontrer nul obstacle jusqu’à vous survoler, vous effleurer. Sensation magique que ce ballet aérien irréel et féerique. 
 
Le sentier traverse le plateau, suivant de loin en loin les ancestrales bornes frontalières en un alignement rectiligne, telles des pointillés hérités de l’Histoire et nous transporte de l’autre côté de l’alpage, à l’aplomb d’un ravin dans lequel il va falloir descendre précautionneusement, sur le flanc gauche. L’endroit est décrit ainsi dans le topo guide : « passage délicat ». Avec fort déploiement de vigueur comme d’attention, j’aborde les premiers lacets sommitaux qui ne présentent pas de difficulté majeure, jusqu'à atteindre un piton rocher, petite plateforme plane sous laquelle quelques mètres de sentier sont moins aisés. Par temps de pluie, le passage de délicat, doit se métamorphoser en dangereux. Ensuite, on descend toujours à flanc de montagne, sur un sentier peu large mais sans plus de dangerosité et le ravin s’éloigne.
Cela demeure néanmoins une descente éprouvante, en plein cagnard, avec la réverbération des rochers et toutes ces ampoules aux pieds. Mais le décor est impressionnant parfois et donc éblouissant. 
L’une des quatre difficultés ou passages délicats de la traversée des Pyrénées, avec beaucoup plus loin le Pas de l’Osque, le chemin de la Mâture et la corniche des Alhas.
Je n’ai plus d’eau à mi parcours et pourtant toujours très soif !
Pas d’autres solutions que d’avancer, pas à pas, à la recherche d’une modeste parcelle d’ombre salvatrice, car inutile d’espérer trouver de l’eau en ces lieux où le minéral s’accommode aisément d’un monde végétal sobre subsistant avec ténacité et parcimonie. Un famélique bosquet d’arbres a trouvé les forces pour tendre son feuillage vers le ciel. De sa force, je tente de faire mienne, quelques fugaces minutes car ici même l’ombre est tiède. Le sentier fait jonction avec la route goudronnée puis descend rapidement vers un pont à deux kilomètres en aval et coule dessous le torrent Bastan. Par une homonymie de circonstance, j’expulse un « basta » fort à propos et vais me désaltérer à la rivière. Un couple de randonneurs (la cinquantaine, qui vient de partir d’Ainhoa et va jusqu’à Bidarray) est installé pour le repas, à l’ombre au bord de l’eau. Le melon se laisse déguster à n’en point douter. Je m’arrête un quart d’heure près d’eux, bois un litre d’eau et poursuit sur le goudron pas une route bien ombragée enfin. Le long de la rivière, des enfants se baignent, s’éclaboussent. N’est-ce pas là la vraie vie ?!!! Prendre le temps, savourer, apprécier.
Lorsqu’on est fatigué, que le coupable soit la chaleur, la soif, un membre déficient, une douleur persistante ou la conjugaison des quatre, tout parait plus long et longue est encore la route pour Bidarray, mignon petit village touristique, aux belles maisons et au fronton de pelote. Pas mécontent de trouver le robinet d’eau situé tout à côté de l’église, car la canicule aurait tôt fait d’avoir raison de moi. Tel un sage en contemplation, je demeure assis sur le trottoir, mes chaussures sagement rangées ne conservant que les chaussettes de ville sur mes ampoules pansées.
Au cours des trois heures de repos passées à Bidarray, je suis resté en chaussettes, sagement assis à proximité du robinet, attendant que les heures chaudes se lassent de moi. Pas de fontaines ici apparemment, contrairement à mes Alpes natales.
Qu’est-ce que ça fait du bien de s’aérer les pieds ! Bonheur total et plénitude presque assurée, sous l’œil goguenard et parfois complaisant des touristes de passage ou attablés au café d’en face. Certains s’arrêtent, me posent des questions, d’autres disent juste un bonjour. Je touche quasiment l’extase !
Un homme d’une bonne cinquantaine d’années, tiré à quatre épingles, assurément cultivé, affable, à l’œil pétillant et au teint hâlé s’approche poliment et demande ce que je fais, quel itinéraire. Le GR 10 ? Parfait ! 
Lui vient de Saint Etienne de Baigorry à pied et dors certainement en gîte, car il porte des sandales, tee-shirt et bermuda impeccables, est douché et sent bon. Et croyez bien que la signature olfactive est un signe qui ne trompe pas ! Il me parle aimablement de mon étape de demain, jusqu’à Saint Etienne de Baigorry, sans eau. Je tique un peu. Suggestion m’est faite de partir tôt, vers 7h00. Il a fait le GR20 et ne trouve pas cette balade plus difficile, évidemment. A la question « où habitez-vous », il répond à la façon des explorateurs d’antan face à une peuplade reculée, aux mœurs mystérieuses et dont on doute de leur totale capacité d’analyse, de compréhension et de jugement :
-          Loin, très loin en Ariège sur le GR10, un tout petit village.
-          Ah, sur le GR10 ! Mais où çà ?
-          Saint Lizier d’Ustou.    
Moi pas connaître bien sûr ! Alors je sors de ma poche le petit carnet de notes où j’ai minutieusement recopié l’intégralité du GR10, sous forme de graphique, d’élévation de terrain. Tout ce GR tient d’une mer à l’autre sur 30 petites fiches plastifiées, soit une dent de scie longue de 3,60 mètres. Une espèce de Tapisserie de Bayeux version montagnarde ! Ainsi, grâce à cela, chaque soir, il m’est aisé de visualiser l’étape du jour et la distance parcourue, un segment quotidien s’ajoutant à un autre, à un autre, etc.
Saint Lizier d’Ustou se trouve sur le 20e des 30 graphiques de mon carnet. C’est au bout du monde en somme !
En attendant, depuis Hendaye jusqu’ici à Bidarray, 58 kilomètres ont été parcourus. Un début prometteur ?
Nous échangeons d’autres civilités et aménités, mes chaussettes battant la mesure. Me conseille, si j’y arrive, d’aller admirer l’église de Sainte Engrâce (6/30), plus près déjà.
18 heures sonnent au clocher, je quitte Bidarray en lui faisant un signe amical, attablé au bar d’en face, occupé à réserver une chambre d’hôtel à Sare où il veut être demain. Bon courage et morne plaine…
La montée en direction d’Iparla est un peu éreintante au début, juste après la dernière maison. De bons raidillons défendent chèrement l’ascension de la colline boisée, prémices des crêtes à venir, demain. La chaleur toujours présente, pesante. Tout comme mon sac, alourdi de 4 litres d’eau qu’il me faudra âprement faire durer jusqu’à Saint Etienne de Baigorry. Quatre litres d’eau pour 24 heures d’efforts intenses, de soif, accessoirement la préparation du repas et un peu de toilette. Ce n’est pas encore le Sahara, mais plus tout à fait l’abondance inconsciente.
En cette fin de journée, les derniers randonneurs regagnent paisiblement le village. Papotage plaisant avec un couple de Sare. Je leur « parle du pays » et du balisage plus qu’évasif ! S’intéressent à mon parcours, au projet de traverser les Pyrénées d’une traite, en solitaire. Pas trop dur tout seul, demande le compagnon ? La femme s’inquiètent de la nourriture et son visage se pare d’un rictus désapprobateur et affligé à l’énoncé de tous ces délicats mets de choix qui emplissent mon sac comme mon estomac : soupes déshydratées, purées, semoule, chocolat, biscuits pour chien,
muesli et thé.
Ils aimeraient partir plusieurs jours durant : je leur conseille le Tour de l’Oisans ! Pour l’heure, ils descendent surtout tête baissée vers la douche
et je les envie.
 
1h30 après Bidarray et un dénivelé de trois cents mètres, apparaît une espèce de col sans nom (450 m), posé sur un plateau semé de pierres et d’herbes. Trois orrys, ces abris de berger en pierre sèche, réduits de quelques mètres carrés sont posés là, face au panorama où s’étire dans le lointain les paysages du matin. Le terrain de belle horizontalité, l’heure avancée, concourent à l’effort stopper !
L’inspection des cabanes de pierre est aisée, puisque une seulement a conservé un aspect accueillant et protecteur et surtout son toit !  La mieux préservée est petite, basse, avec trois madriers de bois antédiluviens en guise d’encadrement de porte mais semblent n’avoir jamais connu le dit mobilier. On entre accroupi et on le reste tant, cela ressemble à un abri de fortune pour compagnon de Blanche Neige rentrant du boulot, hé ho, hé ho ! Sol en terre perforé de pierres plates aux arêtes saillantes, délicatement saupoudré de résidus insignifiants de paille, d’herbe et de déjections ovines. Remarquable travail que celui des moutons qui sont venus se délester sans retenue, couvrant chaque recoin et centimètres carrés de leur signature fécale.
L’odeur de renfermé amplifie celui de l’aigreur du fumier desséché et prend à la gorge.
La fatigue aidant, la lassitude venant, je songe un instant à dormir là dedans.
Mais dans un sursaut de lucidité, je préfère monter la tente, car le soleil est encore suffisamment radieux pour me permettre de dresser le bivouac. De plus, je la porte sur mon dos cette tente (2,240 Kg) et il faut bien que je m’en serve un peu. Je l’ai échappé belle !
20h00. Je m’allonge enfin, mettant mes pieds nus à l’air libre, les délivrant de ce carcan de coton et de Goretex qui les étouffe et leur donne à mariner dans un sauna privatif le jour durant.
Premier repas chaud aussi depuis le début de la randonnée :
-          1 cachet effervescent de vitamines en apéritif !
-          1 double soupe de pêcheurs serrée
-          1 bolino sans trop d’eau, car j’ai un peu perdu l’habitude d’en faire ( :-<)
-          1 semoule sucrée en dessert.
 
Juste un peu de poudre délayée dans de l’eau chaude, en y réfléchissant bien. Pas très nourrissant, peu énergétique, mais la fatigue a une telle emprise sur moi qu’il me semble avoir très bien mangé. L’estomac croyant être repu pour un temps, je m’offre un mini massage de la voûte plantaire suivi de la coupure de quelques ampoules. Faut ce qui faut pour rester en forme. Les grands athlètes se font masser des heures durant (mon rêve), pour me requinquer sommairement, une seule solution : entretenir mes pieds, les laver, les frictionner et couper court à toute incursion d’ampoule rebelle. D’autres pratiquent la politique de la terre brûlée, moi celle de l’ampoule coupée ! 
6h41 de marche.

Date de création : 05/03/2008 @ 05:25
Dernière modification : 12/03/2008 @ 18:44
Catégorie : PYRENEES - GR10
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