Texte à méditer :  Soyez à vous-mêmes votre propre refuge.   BOUDDHA
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PYRENEES - GR10 - JOUR 08
Jour 8 – Lundi 19 juillet 2004
 
En ayant fait le choix de m’arrêter tôt hier après-midi dans ce bouiboui en tôles, j’avais à l’idée de bien récupérer, en me couchant plus tôt qu’à l’ordinaire et de donner par la même occasion, plus de temps aux plaies de mes pieds pour ce refaire une santé. Gardant une indéfectible sincérité en cette profession de foi solennelle, je m’étais donc couché avant même le soleil, un halot de brouillard lumineux passait encore devant la fenêtre en plexiglas maculé de tâches diverses et racontant strate après strate, le livre d’or peu glorieux du cabanon paumé.
Un couche tôt avec de sages résolutions !
Le brouillard dense de la nuit laisse échapper un hennissement enroué provenant des tréfonds de l’histoire tragique de nos sociétés, comme issu des champs de bataille après le combat, une fois le silence de mort retombé sur des sillons rougis du sang des malheureux déchiquetés à Verdun. Le cri de ce cheval est sinistre, glauque, pathétique, à vous en tirer la chair de poule, plus sûrement encore que le vent qui souffle.
Un coup tonnerre retentit, léger, aérien, presque discret, comme un pet du ciel échappé par mégarde et je n’en ai cure. Un deuxième et dernier coup de tonnerre celui-ci tout à l’opposé, proche, massif, sourd, vient se répercuter sur la cloison de l’algéco jusqu’à la faire vibrer. En proie au doute, je me redresse sur un coude soudain, regarde au plafond, les yeux écarquillés en disant à haute voix, comme pour me persuader évidement du contraire : « C’est en quoi les algéco ? En fer ?!!! ».
Il pleut silencieusement et je me réjouis d’avoir eu la bonne idée paresseuse de vouloir passer la nuit dans cet abri de fortune, car sous ma tente ce serait moins drôle…
Et si c’était tout pour la nuit, croyez-vous ? Mais non !
La pluie ne cesse de tomber et de crachin se métamorphose en chagrin, bien gros chagrin, déversant tous les ressentiments amers qu’elle a sur le cœur. On peut dire qu’il pleut comme vache qui pisse. Et les vaches alentour justement, tentent de se protéger où elles peuvent, c’est-à-dire, autour de… mon algéco ! J’en vois deux devant la porte, insufflant à leurs corps un subtil et léger mouvement de va-et-vient, permettant un positionnement optimal de la plus grande proportion de muscles en un pan de mur abrité des intempéries. Et sur les côtés, j’en devine trois autres, fermant les angles. Je le devine, car un indice auditif de cette qualité ne saurait mentir : leurs cornes frôlent, raclent et grattent les cloisons de mon refuge, à la recherche d’une ouverture laissée vacante pour s’y engouffrer. Deux d’entre elles doivent même se battre, car leurs lourdes sonnailles n’en finissent pas de retentir en cadences désaccordées, tel un carillon infernal. C’est bien simple, on se croirait à Paris, le 25 août 1944, perché dans le clocher de Notre Dame scandant la liberté retrouvée !
Et vas y que je secoue ma cloche :
-          La mienne fait plus de bruit que la tienne.
-          Non, c’est la mienne, espèce de grosse vache.
-          Grosse vache toi-même !
Ce tintamarre frénétique m’est offert durant une bonne heure, juste de l’autre côté de la cloison, avec les cornes raclant contre la paroi. Et le marchand de sable pendant ce temps là, il fait quoi ? Il dort ?!!!

Au matin, seule la pluie s’en est allée, le brouillard est resté accompagné d’un vent frais. 14°C au moment de quitter l’algéco qui restera comme l’endroit le plus sale, le plus minable où j’ai dormi durant la traversée.
Apparemment le pied gauche ne me fait plus souffrir du tout, la voûte plantaire durcissant. Le droit reste encore un peu faible mais en très net progrès, heureusement. Je marche donc à une allure normale, sur ce sentier en balcon, entre les fougères humides. Parfois je trottine même un peu, plaisir retrouvé d’avancer plus vite, pour aller plus loin.
Les filets de soie des pêcheurs araignées, tendus entre les genets rampants ne ramènent rien d’autre que des larmes du ciel, des petites, des grosses, des froides ou en voie d’évaporation, récolte fructueuse d’une nuit en mer ! Et comme ils ne peuvent tout conserver, m’en donne à goûter sur chaussures et chaussettes à peine remises des excès de la veille. Splatch, splatch, splatch… Plusieurs troupeaux de vaches et de chevaux éparpillés au petit bonheur la chance sur le parcours pour toute compagnie, alors qu’un panneau indicateur eut été mieux accueilli. Le sentier gentiment vallonné, bien marqué, poursuit dans une orientation générale d’Est. Prairies, sous-bois, alpages en terrasses, fougères ou crêtes herbeuses, il est sans difficulté, peu fatiguant et en majorité descendant.
 
Deux heures dans le brouillard à scruter l’horizon restreint à peau de chagrin et à tirer la remarque appréciable suivante. En mer, la devise est : « une main pour toi, une main pour le bateau ». Sous-tendant avec véracité la nécessité de veiller à sa propre sécurité en s’attachant, ou en se tenant d’une main. Dans le brouillard, qui est aux Pyrénées ce que sont les cigognes à l’Alsace ou la bigoudène à la Bretagne, la sagesse inspire :
« un œil pour toi, un œil pour le balisage ! »
Poser un œil sur le relief du sentier, en déjouer les pièges, les amender et l’autre œil à la recherche du tracé bicolore à suivre, car alors : « si l’attention reste au balisage, la perdition n’est point dans les parages !!! »
Ne parvenant me situer avec exactitude, j’attends un signe probant comme un panneau indicateur par exemple et ce signe, c’est Dieu lui-même qui me l’apporte en dispersant quelques secondes la brume, pour me faire apparaître le village de LARRAU, en contrebas, loin là-bas en dessous du sentier en balcon. C’est un « signe de Dieu » comme aurait dit Smaël ! M’ouais et du vent un peu aussi. Je ne pensais pas être aussi loin de Logibar (375 m), car il me faut près de quatre heures pour y arriver, à force de descente.
Un gros morceau de gîte en fait, que ce Logibar, posé comme un cheveu sur la soupe, en bordure de la D26, en une place encaissée à souhait. Sur les cartes ou guides, on parle indifféremment de cabanes, de refuges, d’abris aptes à accueillir le randonner sans toujours spécifier le type de construction ni son état. Plusieurs bâtisses ainsi pompeusement nommés refuges ne sont souvent que des cabanes en pierre offrant une pièce et quelques matelas dégarnis pour tout confort. Ni accueil, ni eau, ni repas. Juste une baraque abandonnée ouverte aux randonneurs harassés ou égarés. Logibar, c’est autre chose. Un gîte blanc aux volets rouges pour randonneurs certes, avec sa demi-pension traditionnelle, sans oublier hélas toute la panoplie commerciale : cartes postales, bonbons, pâtisserie, bar, restaurant et même des cannes en bois coudées à la vapeur pour le souvenir des touristes !
Je m’installe sous le parasol d’une petite table et commande, les papilles en émoi, le « menu FFRP » constitué d’une assiette garnie d’une feuille de salade sur laquelle sont dressées deux micro rondelles de porc industriel qui a mangé beaucoup de colorants, et une omelette aux pommes de terre. En dessert, je choisis une petite part de tarte aux pommes. Avec un Orangina et des glaçons, c’est parfait. 11,50 euros.  
Ben mieux en tout cas que le patron, sa femme et leurs enfants, à l’opposé du roi, de la reine et du petit prince de la fable ! Le patron mâchonne et éructe plus qu’il ne parle dans son maillot de corps bariolé qui ne laisse pas de doute sur l’heure ni même la température ambiante, tant ses aisselles ruissellent de poils luisants, entremêlés et touffus. Avec un ami tout aussi affligé et affligeant que lui, il fait le décompte macabrement exhaustif des jeunes de la région qui ont malencontreusement oublié de mettre un casque ou qui n’ont vraiment rien pu faire pour éviter cet espèce de con d’arbre qui est venu se mettre devant leur voiture dans un virage. La France d’en bas avé l’accent.
La petite serveuse asiatique sauve un peu le reste de l’équipe.
La patronne tamponne néanmoins gentiment ma carte postale témoin tandis que la serveuse emplit ma gourde souple d’une eau divinement glacée ! Quand faut y aller…
Montée en direction du plateau d’Ardakhotchia (980 m) d’abord en sous-bois frais, voir humide, sous les arbres s’arque boutant afin de protéger efficacement le randonneur des affres solaires, un délice avec toute cette mousse et une telle verdure. Changement de couleur appréciable, après le blanc cassé tout triste du brouillard. Puis à découvert, en empruntant d’abord des escaliers de bois figeant le terrain et diminuant son érosion. La hauteur entre deux marches ne semble avoir été pensée qu’en fonction de rares randonneurs équipés de bottes de sept lieues, tant il faut lever le pied pour monter. Alors j’invoque le pouvoir occulte de l’omelette au jambon, qu’elle me fasse grimper ici plus vite qu’un limaçon ! Et ça marche.
Une route forestière partiellement ombragée est coupée de deux petits ruisseaux propageant le doux gazouillis de leurs eaux fraîches et abondantes. Dernière station remplissage d’importance avant le soir, de l’autre côté de la montagne.
Je me fais rattraper par un couple d’espagnols partis aussi de Logibar peu après moi. On va dans la même direction. Ils ne parlent pas français et s’adressent à moi par : « Ola, habla espanol or speak english ? ». Ouais,… mon espagnol est resté scotché sur les bancs de l’école et mon anglais, tout comme moi bien trop fatigué pour jaillir avec fluidité. Nous cherchons alternativement les traces de balisage, au gré de notre allure respective. Eux devant, moi derrière et inversement en une coalition transfrontalière momentanée et tacite.
« Marca, marca ! ». J’acquiesce en hochant la tête d’un sourire.
L’alpage s’égraine de cabanes de bergers étagées et le sentier carrossable maintenant très large, bordé d’un ravin, s’en va en direction de l’Espagne. C’est sans doute ce qui dope mes peu bavards compagnons avec lesquels je chemine plus ou moins depuis une heure. Ils accélèrent, discutent avec un berger et gagnent la crête frontalière, à moins d’un kilomètre. Je prends la suite en parlant un gros quart d’heure avec ce berger fort sympathique, au ton guttural, à la carrure imposante et dont la moustache poivre et sel semble faite pour distiller à l’envie encore un peu de l’accent d’ici avec emphase et gourmandise. Le type entre deux âges, doré plus que les blés est doté d’une faconde extraordinaire.
-          Vous voulez quand même pas aller voir l’autre mer ? Je sourie car c’est pourtant mon lointain objectif. On dit que les Pyrénées sont bien plus difficiles à traverser que les Alpes. C’est vrai ?
Sentant poindre le cloche merle pittoresque entre le pyrénéen qu’il est et le natif des Alpes que je suis, je botte en touche :
-          La montagne est la même ici et là-bas, belle partout. Il suffit d’y randonner pour s’en convaincre.
Un, puis deux et trois vautours surgissent, planent sur plusieurs kilomètres et finissent par recentrer leur intérêt dans une zone proche. Le berger interrompt son raisonnement. Adieu montagnes enchanteresses et paysages charmants :
-          Ooooh, une bête a du crever par là… Et pour le faire rire, je lance :
-          Mais non voyons, ils sont ici pour moi, je suis si fatigué, si épuisé !
Il explose dans un rire puissant. Je demande si je peux le prendre en photo et répond que non, pas tout de suite et se précipite vers sa voiture. Voudrait-il se pomponner avant de se voir immortaliser ? Il fait descendre son chien du coffre et se propose de le faire poser avec lui ! Fierté et coquetterie de berger. Avant de partir, le type conclue en disant qu’il est confiant pour la météo, le vent venu d’Espagne chasse les nuages et le brouillard. En plus, à la télé ils ont dit qu’il ferait beau.
Plus loin, en montant au col d’Anhaou (1383 m) je ramasse une plume de vautour, cadeau du ciel.
Petite pause succincte, à peine le temps de terminer les derniers muesli et de faire un pano sur les montagnes à 360°. Le ciel s’obscurcie. 
Descente sur l’autre versant par une longue route carrossable caillouteuse qui est bien fastidieuse en fin de journée. Je descends tout de même en trottinant un peu, car j’en ai marre, j’ai mal aux pieds et je veux vite arriver au ruisseau mentionné dans le topo guide, le trouver, m’y reposer, m’en abreuver, passer la nuit à proximité de cette oasis.
Tout au long de la journée et jusqu’à l’arrivée au bivouac, je me fais transpercer une vingtaine de fois par des taons. Qui peut me dire l’utilité exacte de ces sales bêtes dans le règne animal ? Je n’en ai pas trouvé, moi. Les taons me chassent, me piquent et s’agglutinent sur moi. Bien modeste est mon triomphe quand je parviens à en tuer un sur cinq qui me piquent.
Le ruisseau est là, au bout d’une bonne heure de sprint, à pousser sur les bâtons, à accélérer le rythme, à se forcer à continuer malgré le manque total de jus, les ampoules, les pieds échauffés et le plus d’envie caractéristique de fin de journée. Un randonneur a planté sa tente dans le coude du torrent. M’en fout, je suis fatigué et me mets à quelques dizaines de mètres aussi. Encore des taons, toujours des taons.
19h50. Allongé, nu sous la tente et sans chaussettes surtout, je goutte enfin un mérité repos. Mon caleçon est régulièrement trempé, comme après un essorage manuel. C’est fou comme je transpire, d’une sudation permanente, collante dont je n’arrive que trop rarement à me déparer. Et l’odeur ? Je n’y fais plus guère attention.
Après le menu FFRP de Logibar, retour à mes petites habitudes culinaires pas très folichonnes, avec le bien nommé menu « pédibus ». Dernière soupe, une gratinée ; un demi sachet de purée à l’eau, une double infusion pomme-canelle avec deux sucres. Une vitamine effervescente en digestif.
Le ciel se couvre vraiment maintenant, de teintes grises, laiteuses, il devient noir et un petit orage éclate, intermittent. Des coups de tonnerre sur les montagnes, des éclairs aussi. Tout cela à l’air tranquille cependant, sans doute inoffensif.
 
Dans le silence de ma tente, allongé, vanné surtout, hagard aussi, je consulte les graphiques de mon petit carnet, allant de 1 à 30 et reproduisant le dénivelé global qui m’attend. Ce soir, ici, quelque part, je suis à cheval entre le cinquième et le sixième. Bientôt le pic du Midi d’Ossau en ligne de mire. L’un de ces petits cailloux du chemin qui me servent à avancer et à me repérer surtout au milieu des gigantesques Pyrénées, démesurées à ma modeste échelle de randonneur solitaire et microscopique.
 
Cela a été vraiment une très belle étape de marche aujourd’hui, tant par la distance parcourue que pour la vitesse de croisière,
avec 8h34 de marche effective.

Date de création : 05/03/2008 @ 10:18
Dernière modification : 12/03/2008 @ 18:51
Catégorie : PYRENEES - GR10
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