Texte à méditer :  Veut-on savoir ce qui se passe dans les montagnes, il faut interroger ceux qui en viennent.   CHINOIS
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PYRENEES - GR10 - JOUR 14
Jour 14 – Dimanche 25 juillet 2004
 
Comme le laissait funestement présager ma pauvre gourde asséchée, la nuit fut d’un repos sommaire et trompeur, tourmenté aussi car j’ai bien mal dormi et ce ne fut pas faute de garder précautionneusement la bouche fermée ! 
J’ai tourné et tourné autour de cette pierre qui, quelque soit le lieu de bivouac finit toujours par me retrouver et à se jeter sous mes reins avec malice et perfidie. En chien de fusil d’un côté, de l’autre, sur le ventre ou sur le dos, rien n’y a fait. Et quelle soif j’avais en me réveillant toutes les deux heures. Dans la nuit, il m’a semblé que quelques gouttes tombaient sur la tente en une pluie fine et providentielle. J’ai passé la main hésitante d’espoir sur le double toit, souhaitant laper misérablement quelques gouttes.
Il était sec.
12°C sous la tente au réveil et 9°C dehors avec un peu de brouillard et une bonne brise qui descendent du col de Tortès et enveloppent les environs tant et si bien que le col de l’Aubisque pourtant si proche lui aussi, fait office de mirage, apparaissant ou disparaissant au grès de la volonté futile d’une brume dense et mobile, telle une favorite dansant et jouant de voiles pour mieux dissimuler ses charmes.

La fraîcheur matinale incite modérément à la paresse statique et j’atteins le col de Tortes (1799 m) en quelques minutes seulement et bascule sur l’autre versant, près à faire halte à la première source venue. Mais c’est un vœu pieu, les sources ici ! Du haut du col, passant une main fébrile sur mes lèvres morcelées par la soif et tiraillées par la sécheresse intérieure qui les embrasse un peu plus à chaque instant, je scrute avec la méticulosité du condamné à mort le mince filet d’espoir qui fera basculer son devenir. Je cerne rapidement le ruisseau qui coule en contrebas, semblant au jour naissant un mince sillon d’aluminium en fusion qui accapare à merveille les rayons du soleil tant il sinue en fond de vallon et scintille à mon cœur. Il est loin certes, mais accessible puisque je vais passer à proximité dans moins d’une heure. Tout en descendant d’un pas assuré vers un objectif avoué, je zieute sur le flanc gauche de la montagne, des fois qu’il recèle un filon d’eau plus prochain. Peine perdue.
Pourtant le sol est là aussi spongieux, avec par endroits, de l’eau qui affleure pour peu qu’on appuie le pied. Et pour conforter l’idée que je marche parfois sur une gigantesque éponge, passe devant moi une petite et magnifique salamandre, emblème royale de François 1er. Pas le temps de la prendre en photo que déjà elle disparaît dans les fourrés.
Jonction avec le ruisseau que je convoitais avec envie depuis le col. Son eau y est fraîche, revitalisante, bienfaitrice, régénératrice, délicieuse, délectable et gouleyante à souhait. Un vrai bonheur, après cette nuit passée à « tirer la langue » devant ma gourde souple désespéramment vide, telle une cornemuse percée. J’avale lentement un bon litre et demi de cette eau glacée, le litre et demi qui m’a fait défaut hier soir… Cette fois-ci, plus d’erreur, je remplis ma gourde à raz bord, même si Arrens n’est plus qu’à trois heures de là.
A raz bord !
S’en suit une route goudronnée sur trois bons kilomètres de pente douce, où la cohabitation est bon enfant entre automobilistes de passage et vaches en liberté. Les premiers pas exaspérés mais plutôt enjoués slaloment en douceur entre les secondes éparpillées et indifférentes.
Deux micro tunnels à passer, et puis le miracle, le cadeau de la journée, sur le bas côté de la route : le panneau de changement de département !
A cet instant je quitte définitivement les Pyrénées Atlantiques pour les Hautes Pyrénées. Pas trop hautes j’espère !
Ce simple panneau n’est que du métal mais il est très agréable à regarder, jubilatoire même, car il clôt cette première quinzaine de marche à travers un département entier et matérialise la progression de ma randonnée solitaire. Simple bout de métal qui vaut de l’or. L’or des cimes, le prix de l’effort. Il achève aussi le premier topo guide, quelques heures plus tard à Arrens, soit 235 kilomètres parcourus en 13 jours de marche, plus une journée pour faire révérence au Pic du Midi d’Ossau.
Satisfaction personnelle qui dope le moral. A quand le prochain panneau mentionnant la Haute Garonne ?!!! Il n’y en aura hélas pas, hélas plus. Alors randonneurs futurs, sachez vous aussi savourer cet instant symbolique en marquant une halte libératrice faite d’allégresse et de fierté personnelle devant des automobilistes sans doute éberlués de vous voir poser devant un banal panneau de signalisation. Mais traverser les Pyrénées n’est point banal, c’est une affaire de cœur autant que de volonté et d’abnégation perpétuellement renouvelée. 
 
L’ascension jusqu’au col de Saucède (1525 m) ne mérite pas ce qualificatif ici pompeux. Les quelques cent cinquante mètres de dénivelés en légère grimpette sur vallon herbeux sont appréciés puisqu’ils permettent d’extraire le randonneur du trafic routier et cycliste et d’accéder à ce col sans difficulté.  
En face, au col du Soulor situé à seulement un kilomètre à vol d’oiseau, se déroule le championnat de France de VTT. Enfin, c’est ce que je conclus rapidement sans être pour autant trop perspicace, grâce à la brise portante et à la forte sonorisation car la montagne entière retentit des vacarmes de ce barnum. Des colonnes de voitures, de cars, de camions régie, des paraboles encombrent l’accès au col et font le siège du sommet. Tout ça pour un peu de pédales, beaucoup d’Epo, de pots belges, d’inavouables pharmacopées, de duplicité et de faux semblants…
Je tourne les talons en scellant mentalement mes orifices auditifs, tel les compagnons d’Ulysse, ne désirant pas céder aux suppliques et supplices de sirènes éhontées, exsangues de valeurs véritables dont les paroles du speaker parfument pourtant l’atmosphère. Les vrais exploits ne naissent que très difficilement sous le feu des caméras.
Même si la descente sur Arrens n’est pas très compliquée, faite pour moitié en alpage où les granges de pierre joliment restaurées succèdent au plateau herbeux constellé de vaches et de chevaux, suivi d’un sentier grossièrement pavé en sous-bois, je la trouve un peu longue. C’est qu’il me tarde d’arriver au village, au gîte et surtout sous la douche dont la dernière, évanescente et fugace se rappelle à mon souvenir, il y a quatorze jours de cela, la veille du départ, une éternité pestilentielle sur le grand calendrier de l’hygiène et de la propreté corporelle.  
Un bon kilomètre de goudron pour arriver au centre du village d’Arrens-Marsous (878 m) où c’est jour de marché en ce dimanche matin. Je lorgne avec envie les saucissons de pays, les grillades et les poulets qui tournent et dorent sous les rôtissoires, je reluque religieusement les pains de campagne, le miel de montagne et surtout la vitrine réfrigérée du fromager dont les productions sont autant d’invites succulentes au dépaysement gustatif, entre ces crottins fermes, le comté fleuri, les bûches de chèvres aux noix, et souffrant sans doute du réflexe de Pavlov, je salive d’excitation, le palais en émoi devant le fin du fin, les bleus goûtus à souhaits, forts et délicats à la fois. Mais le stand du marchand de matelas ne me laisse pas non plus indifférent, tant les nuits à même le sol sont peu enviables. Et en plus, le vendeur indique sur une large pancarte fluo : livraison gratuite ! Tentateur va !
 
Je trouve facilement le gîte Camelat, charmante maison à étages aux volets bleus, qui fait aussi bar et petit restaurant. Durant la journée, la spécificité gastronomique ne pose guère trop de soucis et pourrait même enchanter le randonneur de passage. Mais le soir venu…
Mon nom est inscrit sur la porte d’un dortoir à quatre couchages au mobilier sommaire et maigrelet.
Je vide mes affaires en un monticule de vêtements trempés ou malodorants, étends ce qui peut encore l’être et prends mes aises en m’allongeant un peu sur le lit. Depuis tout ce temps et le mouvant train couchettes surchauffé, quelle félicité bienheureuse d’avoir le luxe incomparable de pouvoir enfin s’étendre de tout son long, sans exprimer la crainte de se faire caresser machiavéliquement par une pierre, un bout de branche, des épines ou d’être tenu de s’accommoder des aléas convexes et concaves d’un bivouac sommaire.   
A la façon d’une concubine alanguie se goinfrant méthodiquement de gourmandises orientales, lascivement étendue sur un sofa molletonné de coussins et capitonné de soieries lumineuses, hanches nues et poitrine généreuse engoncée dans une dentelle scintillante, je déguste cet instant de repos avec une légère collation seulement composée de chocolat et de quatre quarts.
Puis je vais me prélasser au bain, parfumé de mille essences rares et senteurs exotiques… Ce n’est pas tout à fait le hammam, juste une douche, simple, sommaire mais au combien appréciée tant cette pluie tiède qui enveloppe mon corps sale et fatigué est un délicat apaisement dont je m’imprègne sans fin. Je fais certes courir le savon sur mon corps déjà marqué des stigmates de la randonnée, creusé de fatigue, hâlé par la vie au grand air, amaigri aussi, mais le principal n’est pas tant la propreté retrouvée que de sentir cette eau chaude, presque brûlante maintenant qui roule sur moi, me massant de ces innombrables gouttelettes bénéfiques renforcées de la vapeur purificatrice. J’aime l’eau chaude et les bains de vapeur, au point de rester vingt minutes immobile, face appuyée contre la paroi de la douche, légèrement penché vers l’avant de façon à mieux laisser courir les gouttes le long de ma nuque, de mon dos, de mon corps.
Hummm, quelle extase hypnotique !
Les adducteurs sont OK et le rasage qui s’en suit termine de me rendre un aspect humain. Tout est pour le mieux.
J’ai demandé de la lessive au gîte et pensais que ce serait une formalité :
-          Vous auriez de lessive à me donner, s’il vous plait, j’ai « un peu » de linge sale ces temps-ci ?
-          Ici, on n’a que de la lessive pour machine à laver, pas de lessive à la main. Vous ne pouvez pas frotter au savon ?
-          Si bien sûr, mais je réfère de loin avec de la lessive, ça part beaucoup mieux. Et alors, quelle différence pour moi, ça ne lave pas aussi bien la lessive pour machine à laver ?!!!
-          Avec de la lessive pour machine à laver faudra faire attention aux vêtements. Pas en mettre trop surtout, car c’est très agressif et concentré…
-          C’est parfait pour moi alors !
Ouais, mais à écouter le cuisinier qui tergiverse un peu avec la patronne pour savoir si je mérite ou pas de ce produit miracle, j’ai l’impression qu’on voudrait presque me le faire passer pour des lotions concentrées vendues à prix d’or dans le Far West par des apothicaires sans scrupules, et affirmant qu’une seule goutte de ce produit suffit à rendre indifféremment la santé aux vieillards, la vue aux aveugles ou la motricité aux paralytiques. Et pour une goutte de plus, ça coupe la diarrhée des chevaux et facilite le vêlage des parturientes bovines. 
-          Bon, donne lui donc de la lessive, il verra bien,… lance le cuisinier en désespoir de cause, n’étant pas parvenu à me convaincre de la dangerosité supposée de ce produit sur mes vêtements !
Je reçois la coupelle emplie d’un petit monticule blanc avec déférence, plus encore que s’il ce fut agît de reliques carolingiennes !  
De retour dans le temple de la propreté, cathédrale de blancheur immaculée, j’entame mes dévotions de lavandière et m’en donne à cœur joie (façon de parler), pour tenter de laver au mieux mon linge qui est si sale que l’eau en est grise au bout de quelque seconde seulement. Trois passages viennent presque à bout de la saleté incarnée par les efforts déployés, la transpiration dégoulinée et les outrages de la météo versatile. J’ai fait là une bonne lessive et tout y est presque passé, faisant rapidement trempette dans le lavabo où je ne vois aucune réaction anormale de mon linge, ne se trouvant ni rétrécit, ni percé, ni encore décoloré évidemment ! Le bermuda porté treize jours sur quatorze reprend des couleurs et beaucoup de souplesse perdue. Chaussettes, bandeau, slips, serviette et tee-shirt ne trouvent rien à redire, d’autant que la prochaine lessive n’est pas programmée avant une bonne semaine, à Bagnères de Luchon ou Melles si tout va bien, sauf intempéries incontournables et capricieuses.     
Je ne m’inquiète pas pour le bermuda, 100 % nylon, sec en un rien de temps. Mais j’espère surtout qu’une paire de chaussettes et un tee-shirt seront secs demain matin, afin que je puisse partir assez vite d’Arrens. Non pas que la pose soit désagréable ou le gîte déplaisant, mais le fait d’être environné de monde, de gens grouillants et de bruits parasitaires me stress un peu. Deux petites semaines de solitude en montagne ont tôt fait de me rendre encore plus sauvage que je ne le suis ordinairement !  
Le grand air, il n’y a que ça de vrai.
 
Un randonneur espagnol grassouillet et amoché au coude ainsi qu’une grande et filiforme cyclo américaine blonde et un peu francophone partagent mon dortoir. Espérons qu’aucun d’entre eux ne ronfle ! 
 
Dans l’après-midi, afin d’utiliser correctement ce temps de repos auquel je m’astreints volontiers, je m’octroie une petite promenade en « ville » avec la découverte de l’architecture locale, essentiellement en pierre et toits de lauzes de petites maisons blotties au fond de la vallée. L’église avec son clocher à bulbe et toute mignonne et proprette, sise en bordure d’un petit ruisseau. J’ai toujours plaisir à entrer dans une église afin d’en admirer l’harmonie, la décoration et la richesse artistique. Le grand orgue parfois, les tableaux et le chemin de croix soigneusement numéroté, des fois qu’on saute un épisode. J’aime m’attarder dans les églises, moins par foi bredouillante que par attrait de ce lieu de silence et de paix, à l’architecture soignée, à la décoration parfois raffinée donnant des airs de petit musée de village. Bien souvent la physionomie du Christ diffère, au dessus d’Ainhoa, à la chapelle de l’Aubépine, il implorait le ciel avec une peau couleur chamalows et des blessures sanguinolentes rouge vif, abrité dans un drapé immaculé. Ici, le Christ maigrichon tendu dans une harde jaune incline la tête en signe de renonciation. Même personnage et attitudes différentes comme autant de sentiments mêlés.
Dehors, la plaque du souvenir témoigne des disparus, dont certaines familles se sont vues déposséder lors de la première guerre mondiale.
Antarrieu Joseph,
Antarrieu Jean-Michel,
Antarrieu Jean-Philippe.
Jusqu’à trois par famille. Montauban Jean-Marie tombé en 14-18 et le fils sans doute, Montauban Michel en 39-45…
Macabre décompte révolu d’une France en guerre contre l’allié d’aujourd’hui.
Passage rapide à la maison du Parc national situé sur la place, où le visiteur est accueilli par un ours assis, figé dans la pierre. Au milieu de touristes s’enquerrant de promenades et autres balades à la journée, je scrute méticuleusement la carte en relief du massif ainsi que les cartes IGN au 1/25000e fichée au mur. Il m’apparaît alors souhaitable d’éviter la Hourquette d’Ossoue (2734 m), pourtant point culminant du GR10. Beaucoup trop de passages délicats mentionnés en pointillé, de part et d’autre de ce col que j’aurai aimé gravir, mais en étant accompagné. D’autant plus que le topo guide mentionne que l’itinéraire « du bas », par la Hourquette se fait sur des « pentes raides et des passages en a-pics pouvant être vertigineux… ». Le but du jeu consiste et demeure pour moi de traverser le massif des Pyrénées et d’arriver à l’autre bout entier, sans cheville foulée, bras cassé ou genou tordu. Je marcherai donc au plus court pour gagner Luz-Saint-Sauveur, par le col de Riou, soit deux jours de marche en moins au départ de Cauterets. De cette manière je serai plus frais et surtout en bonne santé, car affronter les passages délicats sur précipices… Je songeais à cette hypothèse depuis quelques jours déjà, avec le passage du chemin de la Mature et la corniche des Alhas.
 
En arrivant au gîte à 11h30 ce matin, je l’avais trouvé calme et serein, emprunt au repos et à la tranquillité.
Maintenant qu’a sonné l’heure du repas du soir, c’est le branle-bas de combat en cuisine et surtout en terrasse, située sous la fenêtre du dortoir. Ainsi il faut facilement atteindre 22h30 pour que diminuent les combats de fourchettes et de couteaux, et que le champ de bataille culinaire se nappe d’une chape de calme, que dis-je, de silence. A 23h00, le randonneur espagnol ronfle… 
Si le gîte Camelat d’Arrens est supposé estimé pour sa cuisine, je le déconseille aux randonneurs enclins au sommeil réparateur et accro aux nuits calmes. Dommage. 
 
Petite journée de marche aujourd’hui avec seulement 3h10 de marche effective.
Mais surtout une demi journée de repos et une lessive appréciée.

Date de création : 06/03/2008 @ 11:55
Dernière modification : 12/03/2008 @ 19:02
Catégorie : PYRENEES - GR10
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