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PYRENEES - GR10 - JOUR 01
La montagne est bien haute, mais plus d’un se plaint de sa hauteur sans tenter d’y monter. Yang Sa-On Marcher pour moi est vital. Aller de l’avant, marcher pour bouger, voir, contempler, s’émerveiller. Marcher pour me sentir vivant, exister. Marcher pour atteindre un but. Marcher surtout pour se dépasser et découvrir des forces physiques et morales insoupçonnées. S’il est vrai que la montagne est haute, elle apparaît surtout dans l’immensité et la majesté de son étirement, telle une odalisque de pierre et de vert, lascive, lovée entre les mers. Pas une montagne mais un massif entier que je veux traverser de part en part, à mon propre pas, sur plus de huit cent kilomètres : les Pyrénées. Des noms se suivent sur la carte, un tracé rouge serpente entre des altitudes variées sur fond de couleur bariolé. Sur papier, tout est plat, simple, aisé. Sur papier. Aucun atlas jamais ne pourra révéler la pénibilité du sentier écrasé sous la fournaise, ni exhaler l’odeur des foins coupés ou même restituer l’extraordinaire abandon de soi face à un panorama somptueux, aux ors du jour finissant. Il faut le vivre, s’en donner les moyens en se surpassant, en s’extrayant volontairement des grisailles du quotidien. Et nul besoin d’être un surhomme, bodybuildé ou suréquipé. . La traversée des Pyrénées en solitaire n’est pas une chimère. . Ce type d’aventure alpestre est à la portée du plus grand nombre. Une condition physique normale, une bonne habitude de la montagne, des connaissances minimales en orientation, un matériel léger et adapté suffisent pour partie au succès. Mais seules la force de caractère, la volonté et l’abnégation mènent au bout. C’est en faisant corps avec la montagne qu’elle dévoile parcimonieusement certains des trésors qu’elle renferme secrètement. Faune, flore, paysages ne se conquièrent pas. Ils sont offerts à ceux capables d’observer, capables de s’émouvoir de ces petits riens qui en sont l’essence même. Savoir observer sans dégrader. . Jour 1 – Lundi 12 juillet 2004 Gare de La Part-Dieu – Lyon – 0h20. Voiture 43 – Place 22 – 1 couchette bas ! Je grimpe dans le train corail à destination d’Irun, là-bas, à l’autre bout de la France, si loin de mon Vercors natal ! Mais c’est pour mieux retrouver la montagne, celle qu’il me tarde de découvrir, de parcourir et d’apprécier. En m’allongeant sur la dernière couchette restée libre de ce compartiment surchauffé déjà occupé par une famille suisse, mon esprit s’anime, imaginant les paysages, les odeurs ou le climat de la côte atlantique. Sans doute fera t-il grand beau à Hendaye et la mer scintillera de mille éclats pétillants. Le train s’ébranle et la douce mélodie lancinante des bogies battant les rails perturbe l’aptitude au sommeil légitime ! Une voix retentit dans la nuit : « Valence ! ». Des arrêts de long en long, dans des gares sans nom, puis à 5h30 : Toulouse Matabiau. La famille suisse descend avec ses vélos, sans doute pour une randonnée cycliste. A cet instant, un soupçon point. Ne ferai-je pas mieux de faire un peu de vélo avec cette famille plutôt que d’aller enquiller des cols sans fin, seul, avec mon sac à dos de 45 litres pour tout compagnon ? 8h00 Lourdes. La cité Mariale n’a pas daigné aujourd’hui apporter son miracle quotidien. On parle bien de « pain quotidien », pourquoi pas de miracle ?! Résultat, le temps est humide, brumeux. S’en suit Pau où le château natal du brave Henri apparaît comme un charme et disparaît aussitôt. Bayonne, Dax, Biarritz et enfin Hendaye où la pluie se met à redoubler d’intensité : « rando pluvieuse, rando heureuse !!! ». 11h05. Le départ du GR10, situé devant la Casino, n’est pas mon centre d’intérêt immédiat, n’est pas en ce petit matin pluvieux et triste le Saint Graal après lequel je cours prioritairement. Non. Une envie bien plus modeste et futile que celle des chevaliers antiques fait vibrer mon cœur : acheter une carte postale ! Mais pas n’importe quelle carte postale à envoyer. Une carte qui sera le fidèle témoin de mon lent cheminement dans les Pyrénées, car je la ferai tamponner en poste, au gré des étapes successives. Un surfeur bronzé et musclé comme il se doit, s’ébat sur une étendue azuréenne et calme, bordée de sable blond. Le château d' Abbadie, le port et le Casino complètent le décor enjoué tout autant qu’ensoleillé de cette carte postale d’Hendaye. Vision idyllique, presque paradisiaque pensais-je, au moment d’enfiler mon poncho et d’aller affronter les trombes d’eau. 15°C à midi. Reste plus qu’à dénicher le bureau de poste. Afin d’éviter toute divagation inutile aux randonneurs futurs, pris sous des trombes d’eau dignes des plus belles moussons asiatiques, je le dis, puisque aucun panneau ne l’indique sur place : « En sortant de la gare, c’est à GAUCHE !!! ». A gauche la poste, à gauche surtout le départ du GR10. L’employée de la poste, compréhensive ou habituée, ne fait pas d’objection à apposer le premier tampon sur ma carte postale. A moins que ce ne soit ma tenue par trop élégante (poncho, casquette trempée et sac à dos protégé mais dégoulinant) qui lui inspire pitié ou affliction ?!!! Bref, j’ai le sésame indispensable pour moi. Le point de départ du GR10 est un peu laborieux à trouver. Les rares passant qui persistent à passer malgré la pluie ne savent pas et les panneaux n’indiquent rien. En bordure de mer, la rue Belcenia apparaît doucement. Plus loin le long du front de mer, le casino, noyé dans la brume se laisse vaguement deviner. Première photo devant l’un des panneaux du GR10. Sourire mi radieux, mi interloqué par cette splendide météo estivale qui laisse présager d’une saison optimale. D’Hendaye j’aurai peu vu. Ni la mer grise aux derniers rouleaux opaques, ni la ville, son architecture basque. Il me tarde évidemment de quitter ce lieu, pour mieux me laisser happer par le sentier, les collines et l’aventure qui m’attend désormais. La pluie décline à mesure que s’élève le sentier au milieu de coteaux urbanisés lézardés de maisons basques proprettes. Une lande rase, des fougères verdoyantes car gavées d’humidité céleste et les premières huttes de chasse. Encore à Hendaye mais plus étouffé par la ville et ses bruits lancinants. La mer se dessine, on domine. Je suis méticuleusement le balisage rouge et blanc du GR10 jusqu’à le perdre ! A peine une heure de marche et l’augure est inquiétante déjà ! Un grand père m’indique la suite, entre vallons, collines et maisons blanches. Il est mon premier vrai contact avec le pays basque. Principal obstacle, le long serpent de bitume qui file en flots ininterrompu vers l’Espagne toute proche, déversant à la cantonade les décibels et pour les poumons du randonneur, d’excellentes et bienfaitrices bouffées chargées de Co2. Du bon, du vrai Co2, du pur, du pas coupé avec de l’oxygène. Un mini tunnel, passage à bestiaux permet de franchir l’A63. Dure confrontation que celle du randonneur, modeste, discret, silencieux et fugace insignifiant en somme, avec ces centaines de véhicules à la minute qui hurlent et vitupèrent. Lors de la traversée des Alpes en solo, à l’automne 2003, j’avais été tout aussi abasourdi en arrivant sur Modane, en Savoie. Deux ou trois jours de marche en montagne, coupée de quelques faméliques hameaux. Le cri des marmottes, des fleurs et les arbres se pavant des couleurs d’automne. D’abord le bruit. Perçu de très loin, de très haut en montagne. Plus on descend, plus on s’approche et mieux on ressent la pollution, sonore d’abord, olfactive et respiratoire surtout. Visuelle aussi. Un passage piétonnier bétonné permet là-bas aussi le franchissement sécurisé de l’autoroute sur laquelle s’entassent les camions pour l’Italie. De l’autre côté de l’autoroute, somnole le petit village de Biriatou, avec en fond persistant, le souffle trépidant de la vie autoroutière. Comme un acouphène de sangsue, mais en rien sensuel ! Pause à côté du fronton de pelote, où un panneau d’information décortique le GR10 en Pyrénées atlantiques, figurant les principales étapes. « Vous êtes ici » désigne le village. Longue encore est la route jusqu’à Arrens, à l’autre bout du département. Et que dire de Banyuls, au bout du cinquième département pyrénéen ? La pluie ayant cessé, j’enlève les parties inférieures de mon pantalon, désolidarisant les jambes pour me retrouver en bermuda. Plus seyant et plus pratique surtout pour la marche car permettant l’évacuation immédiate de transpiration. Une belle invention. Dès lors, durant toute la traversée, je resterai en bermuda, qu’elles que soient la météo ou les températures. Au moment de lacer la chaussure droite, le lacet me reste entre les mains… Au bout de deux heures de marche, le premier jour ! A cet instant funeste, je repense avec amertume à ce que m’avait dit le vendeur de Go Sport, rue de la République à Lyon : « On n’a jamais eu de problèmes avec les lacets, aucun retour, rien, personne ne s’est jamais plaint ». Je lui avais pourtant demandé s’il ne pouvait pas m’en donner une paire en rab, à titre préventif. Il avait été très surpris, étonné en écarquillant de gros yeux marrons. Lui n’avait utilisé ces chaussures que dans les monts du lyonnais (pas réputés pour être impressionnants de dénivelé !) et vers Saint Jean Pied de Port. M’ouais mais j’ai pété mon lacet quand même ! Marche d’approche facile dans la lande des collines, au dénivelé peu significatif, avec quelques panoramas sur la mer. Depuis Biriatou, je suis un jeune couple de randonneurs qui veulent aller à pieds en cinq jours, jusqu’à Saint Jean Pied de Port. Leurs sacs semblent neufs, leur détermination virginale. Moi, je veux aller à Bagnères de Luchon à quinze ou vingt jours de là. On me dit que j’ai de la chance d’avoir de longues vacances. J’acquiesce en souriant simplement. A aucun moment de cette randonnée je ne me suis ouvertement fixé le but d’atteindre Banyuls à tout prix. Trop loin, trop long Banyuls, surtout depuis Hendaye. Pour garder au quotidien moral et confiance, rien ne sert d’avoir les yeux plus gros que le ventre. Mieux vaut procéder par étapes, humaines, réalisables et palpables. A moyen terme, mon esprit n’est donc ainsi pas perturbé à l’idée de la plage finale, sans doute acquise de dure lutte. Le GR10 et la traversée des Pyrénées se décomposent en quatre phases majeures : 1) Hendaye – Arrens 2) Arrens – Melles 3) Melles – Mérens 4) Mérens – Banyuls Bagnères de Luchon est le centre virtuel de cette traversée. Il est mon but unique. Point de Banyuls dans l’immédiat. Juste Bagnères, ce sera déjà une belle aventure en solo, un beau brin de randonnée en Pyrénées. Ensuite pour le reste mes forces décideront, en temps utile. Plus tard. Ici et là, au long du sentier, des chevaux broutent entre les fougères, sans se soucier du randonneur. C’est que le pottok, petit cheval symbole du pays basque en a vu d’autres, lui qui passe le plus clair de son temps en liberté. Pas de doute, ici enfin la nature est omniprésente, régnant sans partage sur les collines sauvages. Luxe, calme, air pur et randonnée ! Il me semble avoir quitté le bitume et son jumeau urbanisme pour des siècles et des siècles. Pas le temps de dire Amen ni ouf, qu’au détour du col d’Ibardin, la civilisation revient au grand galop. Vision surréaliste de ce petit col (317 m) mité par des hôtels, des bars, des boutiques, des manèges, des centaines de touristes attablés repus de graillon chaud et que de voitures !!! C’est la foire à neuneu en pleine montagne, puisque à cheval entre la France et l’Espagne, alcool et cigarettes sont ici bradés. Et personne ne se prive. Comme étouffé dans ce tourbillon surpeuplé où mes valeurs se sentent bien étriquées, je lâche mes deux « acolytes » pour me saouler de verdure, de sous-bois. 18h28. Fin d’après-midi et fin de cette première journée de marche tronquée. Le col du Grand Escargas (273 m) apparaît un havre de paix salutaire. A la sortie du bois, une trouée entre les fougères, un replat agréable face à La Rhune. Pour tout repas du soir, j’avale deux cents grammes de Muesli, allongé devant ma tente, oisif enfin, devant ces paysages jusqu’alors inconnus. Le jeune couple de randonneurs arrive enfin. Et sans prendre trop la peine de souffler ni d’admirer le panorama, s’en va presque aussitôt en direction d’Olhette car je suppose qu’ils n’ont pas de tente. Important handicap que celui-là. Emporter avec soi une tente alourdi certes un peu le sac, mais cet excédant de poids fort utile est le signe de l’indépendance qui permet indifféremment de bivouaquer où on le décide, de passer deux jours de repos en montagne pour souffler et d’organiser la marche sans contrainte horaire. On se pose où l’on veut, quand on veut. Plus d’horaires à respecter coûte que coûte pour arriver à l’écurie, pardon au gîte ! Les premières chauves-souris déploient leurs ailes tandis que les derniers joggeurs en terminent. L’un d’eux, se préoccupant de mes réserves d’eau m’indique d’un index sûr et catégorique, une petite source cachée au raz des fougères à cinq mètres de là, avant de s’éloigner. Curieux, je m’approche du gisement supposé d’eau fraîche et gouleyante, pour ne découvrir qu’un petit bassin de bois semi enterré et son minuscule tuyau d’alimentation. Tous deux sont secs, en proie à la végétation et aux résidus de papier toilette… L’eau figure comme la principale richesse du randonneur en pays basque, car rares sont les fontaines, sources, bassins ou ruisseaux. Rares ou inexistantes ? Précieuse est l’eau qu’on ne trouve trop souvent que dans les villages. Les collines, vallons ou montagnes font ici office de Sahara vert. Je conseille vivement de remplir sa gourde aussi souvent que possible, de faire des réserves supplémentaires, car chaleur et soif ne sont pas les meilleures alliées de la randonnée. Je reste seul sous ma tente, allongé, nu, songeur mais pleinement satisfait de cette première journée de marche qui m’a permis d’arriver à ce col du Grand Escargas, après une nuit en train couchette et être parti d’Hendaye à 12h15. Début prometteur. Durée effective de marche : 5h35. Les pieds se portent bien, sans déplorable ampoule ni autre douleur. Peu de fatigue encore. L’objectif de demain est d’aller planter la tente au col des trois Croix, au dessus d’Ainhoa. Un petit bout de montagne pour panorama. Dans le Nord-Ouest, l’horizon plat, liquide, se part des pigmentations du soir finissant. Une impression de soleil couchant ! Un phare ponctue la pénombre, la côte est loin déjà. 24°C sous la tente à 20h00. Date de création : 24/11/2007 @ 12:04 Réactions à cet article
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